Cinq migrants secourus par les sauveteurs de Calais

Embarqués de nuit sur une coque de noix partie pour l’An­gle­terre par avis de grand frais et seule­ment signa­lés par la lueur d’un télé­phone portable, des migrants sont sauvés d’une mort certaine par les Sauve­teurs en Mer de la station SNSM de Calais et leur bateau de sauve­tage la SNS 077, Notre-Dame-du-Risban.

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5 migrants quittent la France pour l’An­gle­terre

« Ils ont eu beau­coup de chance. Leur mort était certaine », explique Bernard Barron, président et cano­tier de la station de Calais. « Ils », ce sont cinq migrants, sans doute iraniens. Dans la soirée du 6 février, ils s’em­barquent pour l’An­gle­terre sur une coque de noix : un canot à moteur d’à peine 3 mètres. Tout juste conve­nable pour navi­guer sur un plan d’eau abrité, exclu pour la traver­sée du détroit le plus encom­bré au monde. Surtout en pleine nuit quand menace un avis de grand frais avec des vents de 60 km/h. Coque blanche, pont d’un gentil bleu layette agré­menté d’un « poste avant » étriqué, ce « navire » est ridi­cule pour une telle navi­ga­tion. Comme son moteur hors-bord de 5 ch.

 

Des condi­tions météo­ro­lo­giques diffi­ciles

Cinq migrants ont choisi le Shnork pour fuir le conti­nent depuis, diront-ils, une plage près de Dunkerque. Et mettre le cap sur l’An­gle­terre, les blanches falaises crayeuses du Kent, un avenir radieux. Après quelques heures d’une navi­ga­tion incer­taine avec cette embar­ca­tion fragile et surchar­gée, le moteur tombe en panne. Le vent monte, la mer se creuse. Le grand frais, dont ces hommes ne savaient rien, est là qui frappe. Désor­mais, seuls les éléments commandent. Des paquets de mer inondent l’em­bar­ca­tion où les cinq migrants, trem­pés, recroque­villés, claquent des dents : l’eau est à peine à 8 °C. Vent et courant poussent le Shnork vers le large.

Le « Shnork »

 

Un migrant saute à l’eau et rejoint la terre ferme pour préve­nir les secours

Dans leur dérive, ses passa­gers devinent la côte française dont les feux lente­ment défilent au-dessus des défer­lantes écumantes. L’un des cinq saisit la gravité de la situa­tion : tous sont condam­nés à périr. Alors, perdu pour perdu, il se met à l’eau pour nager jusqu’à la côte encore proche, y mobi­li­ser des secours. Arrivé transi sur la longue plage – 8 kilo­mètres – de sable, ne sentant plus ni ses mains ni ses pieds, il trouve encore la force, l’éner­gie du déses­poir, pour marcher, obstiné, contre les bour­rasques du vent main­te­nant à force 7 sur l’échelle de Beau­fort. Il lui faut abso­lu­ment du secours. Pour lui, pour ses amis.

À la première maison trou­vée, il frappe à la porte. Il est 5 heures du matin tout juste passées, le 7 février. On sera long à lui ouvrir. À cette heure-ci, ailleurs ou dans le Calai­sis avec ses « jungles » où s’en­tassent des milliers de migrants illé­gaux, personne n’ouvre faci­le­ment sa porte. Averti, le SAMU vient cher­cher l’étrange visi­teur. Dans un sabir de farsi et d’an­glais, le rescapé explique son odys­sée, supplie pour que ses quatre compa­gnons du Shnork soient sauvés. Récit confus.

L’équipe du SAMU relaye vers le CROSS Gris-Nez qui aussi­tôt coor­donne les secours. Tandis que des patrouilles de pompiers du SDIS 62 se déploient sur le cordon dunaire, un héli­co­ptère NH-90 Caïman décolle de la base aérienne belge de Coxyde. À son bord, tous les moyens pour des missions SAR – Search And Rescue, recher­cher et secou­rir. Même de nuit dans des condi­tions météo diffi­ciles. Plus tout le savoir-faire de sa flot­tille répu­tée : la 40e. Ses sauve­tages par héli­co­ptères Seaking ont été le thème d’une série télé restée célèbre outre-Quié­vrain.


Les Sauve­teurs en Mer de Calais embarquent sur la SNS 077

Ce dispo­si­tif est vite complété par le canot tous temps de la station SNSM de Calais : la SNS 077 Notre-Dame-du-Risban. Armés par six cano­tiers, il appa­reille vers 5 h 40.

Où cher­cher le Shnork en péril ? Le seul indice fiable : Sangatte, d’où le premier rescapé a été conduit, en début d’hy­po­ther­mie, vers l’hô­pi­tal de Calais. Et l’ex­pé­rience locale : vu l’heure, les courants de marée, les condi­tions météo, c’est dans l’ouest, vers Wissant et le cap Blanc-Nez qu’il faut axer les opéra­tions de secours. Frappé de sa cocarde noir, jaune, rouge, l’hé­li­co­ptère belge repère la coquille de noix dans le secteur estimé et passe la main à la SNS 077.


Sauvés par la lumière d’un télé­phone portable

« Depuis une heure, complète Bernard, le  »Notre-Dame-du-Risban" fait route sur une mer dure. À la barre, Jean Caron, patron suppléant. Aux lunettes de vision de nuit, Régis Holy, plon­geur. La visi­bi­lité est faible sur une mer blanche d’écume avec des creux de 3 mètres. Une lumière semble danser sur une crête. Elle dispa­raît puis revient. C’est celle, compren­drons-nous plus tard, d’un télé­phone portable qu’agite à bout de bras l’un des passa­gers du Shnork. Juste assez puis­sante pour foca­li­ser l’at­ten­tion de Régis. Visant ce point, il voit enfin dans ses lunettes la minus­cule embar­ca­tion en perdi­tion à 2 milles au large." Poussé par ses puis­sants moteurs, la SNS 077 rejoint, manœuvre, se place bord à bord par l’avant. Il est 7 heures et la nuit est toujours aussi noire quand, un par un, pour­suit Bernard, « on extrait les quatre resca­pés de leur barcasse inon­dée. Elle n’était plus qu’une baignoire d’eau glacée prête à sombrer. Oui, c’était juste. Vrai­ment juste ».

Un des malheu­reux est en hypo­ther­mie avan­cée, sa tempé­ra­ture corpo­relle tombée à 36 °C. Mal de mer, froid cruel, peur rétros­pec­tive d’être passés si près de la mort : tous sont choqués. « À peine en remorque, ajoute encore Bernard, leur embar­ca­tion est submer­gée par une lame. À quelques minutes près, tous passaient à l’eau. Pour s’y noyer. » Dans l’aube blafarde d’un nouveau jour, grelot­tants, lèvres encore bleues, ils sont dépo­sés à Calais, pris en charge par le SAMU et par la PAF – la police de l’air et des fron­tières.

 

De plus en plus de migrants tentent la traver­sée vers l’An­gle­terre

Là pour­rait s’ar­rê­ter cette histoire, sauf que… Ce n’est pas la première fois que la SNS 077 se porte au secours de migrants se risquant à la traver­sée du pas de Calais. Déjà, en mai 2014, ce canot récu­pé­rait un jeune Afghan en limite du chenal des ferries trans­manche. Plein d’un rêve opti­miste, il partait pour Douvres sur un radeau de fortune : une canne à pêche pour mât, un drap d’hô­pi­tal pour voile. Et zéro expé­rience mari­time. D’autres bien sûr ont déjà tenté l’aven­ture sans que l’is­sue en soit connue. D’autres la tente­ront. Toujours et encore. Parce qu’elle sera leur seul espoir d’une vie meilleure.

Désor­mais, barbe­lés et poli­ciers rendent quasi­ment impos­sibles les évasions via les ferries ou le tunnel sous la Manche. La mer devient la seule option pour ces migrants qui s’en­tassent, en nombre crois­sant, dans les jungles de Sangatte (3 500 personnes envi­ron avant le déman­tè­le­ment partiel prévu théo­rique­ment fin février) et de Dunkerque (1 700 autres). De jour et par beau temps, la tenta­tive est irréa­li­sable. Tout comme celle de l’Af­ghan, elle serait très vite repé­rée, signa­lée, enrayée. Trop d’yeux sont là. Ceux des quelques trois cent navires par jour emprun­tant le détroit par où tran­site le quart du commerce mari­time mondial. Aux leurs s’ajoutent les yeux de la noria des ferries entre la côte anglaise et le conti­nent (France, Belgique, Pays-Bas). Et de la pêche. Et de la plai­sance. Et des séma­phores litto­raux. Et des patrouilles terrestres de CRS ou de gendarmes.

C’est donc de nuit ou par temps de brume que les tenta­tives se multi­plie­ront. Les auto­ri­tés le savent et s’en inquiètent. Aux moyens de fortune – le Shnork en était un – s’ajoute déjà l’ap­pé­tit des trafiquants pour ce nouveau marché. Tout récem­ment, deux passeurs bataves ont été rattra­pés avec vingt-quatre passa­gers illé­gaux à leur bord. De même, un jeune marin dunkerquois dont l’af­faire est à l’ins­truc­tion à Lille. Aux commandes d’un gros semi-rigide imma­tri­culé en Belgique, il a reconnu avoir effec­tué plusieurs traver­sées nocturnes. Ses comparses étaient des Viet­na­miens et des Alba­nais enga­gés dans des réseaux de migra­tion illé­gale. Des passeurs, pros de la traite humaine : la place était à 12 000 €.

Alors, la Manche fermée comme une huître ? Non, pas vrai­ment. Ouverte comme la Médi­ter­ra­née en son centre et son orient ? Non plus, tant s’en faut. Mais pour combien de temps ? Après des milliers de kilo­mètres depuis la corne de l’Afrique, le subSa­hel ou le Moyen-Orient à feu et à sang, les trente derniers kilo­mètres du pas de Calais ne résis­te­ront pas long­temps aux flux migra­toires, à leur pres­sion opiniâtre. Pas plus que le limes romain n’a tenu dans la durée. La SNS 077 appa­reillera donc encore pour des migrants. Son succes­seur aussi.

Un grand bravo aux équi­pages de Calais de la part de tous les béné­voles de la SNSM pour cette opéra­tion !

Nos béné­voles sont entraî­nés et équi­pés pour effec­tuer ce type de sauve­tage.

Grâce à votre soutien, vous les aidez à être présents la prochaine fois !

 

Article de Patrick Moreau, paru dans le Maga­zine Sauve­tage n° 135 (1er trimestre 2016)

 

 

Equi­page SNS 077 Notre-Dame-du-Risban

Patrons : Charles Devos, Jean Caron

Cano­tiers : Bernard Barron (Président de la station), Matias Four­nier

Navi­ga­teur : François Longuet

Plon­geur : Régis Holy