Interview d'Annick Girardin, ministre de la Mer

Défi envi­ron­ne­men­tal, réponse aux enjeux de déve­lop­pe­ment écono­miques et sociaux, rayon­ne­ment inter­na­tio­nal de la France à travers sa poli­tique mari­time, Annick Girar­din, ministre de la Mer, est sur tous les fronts. Elle partage avec nous sa vision de la SNSM.

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Annick Girardin ©Dicom Francis Pellier

Il n’y avait pas eu de ministre de la Mer au Gouver­ne­ment depuis trente ans. Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs les missions de votre minis­tère et votre rôle ? 

Annick Girar­din : Le minis­tère de la Mer, c’est d’abord le minis­tère des usagers de la mer. Je ne pense pas seule­ment aux quelque huit millions de Français qui vivent sur le litto­ral, je pense à toutes celles et ceux qui vivent avec la mer, que ce soit pour leur acti­vité profes­sion­nelle, leur loisir, leur plai­sir.  

C’est aussi le minis­tère de la plani­fi­ca­tion mari­time. Mettre en place des projets sur nos mers et nos océans, cela prend du temps, cela demande de la concer­ta­tion. Sur le sujet des éoliennes en mer, par exemple, nous avons calculé qu’en faisant les bons choix aujour­d’hui, nous pour­rions parve­nir à alimen­ter 25 % de la France en élec­tri­cité grâce à cette source d’éner­gie d’ici 2050. 

En tant que ministre de la Mer, je dénombre trois défis prin­ci­paux.
D’abord, et c’est sans doute le plus impor­tant : parve­nir à répondre au défi du siècle, le défi envi­ron­ne­men­tal. Avec onze millions de km² de domaine mari­time et près de 10 % de la diver­sité mondiale des espèces marines en France, notre respon­sa­bi­lité est énorme.  

Deuxième défi, il s’agit de trai­ter les enjeux écono­miques et sociaux. Il n’y a pas de sécu­rité sans une écono­mie saine ! Et l’éco­no­mie mari­time française, c’est près de 400 000 emplois. Depuis le début de la crise sani­taire, nombreux sont ceux à travailler dans des condi­tions parfois très diffi­ciles pour nous permettre de conti­nuer à mener une vie normale, pour éviter les manques d’ap­pro­vi­sion­ne­ment, pour assu­rer la protec­tion de nos eaux et les navi­ga­tions au long cours, les trans­ports ou l’ac­ti­vité de pêche. C’est aussi à eux que je pense alors que nous déployons notre poli­tique mari­time. Je n’ou­blie évidem­ment pas mon atta­che­ment à la jeunesse : les forma­tions à tous les métiers de la mer sont d’ex­cel­lente qualité en France, il faut inci­ter plus de jeunes à se lancer dans ce beau milieu !  

Troi­sième défi, la France doit rayon­ner grâce à sa poli­tique mari­time. La France dispose de fron­tières mari­times avec vingt-huit pays. La France des trois océans, cela recouvre une réalité géopo­li­tique riche et complexe. La France, grâce à ses terri­toires d’outre-mer, possède en super­fi­cie la deuxième zone écono­mique exclu­sive (ZEE) mondiale. La France, c’est trente dépar­te­ments litto­raux – outre-mer compris –, 7 000 kilo­mètres de côtes et litto­raux qui comptent huit millions d’ha­bi­tants, nous devons mieux les proté­ger et les valo­ri­ser. C’est d’ailleurs ce que je souhaite faire en réamé­na­geant et restau­rant le sentier du litto­ral dans le cadre du plan de relance.

Je souhaite que l’on redonne la possi­bi­lité aux Français de reve­nir sur ces sentiers qui font le tour du litto­ral français.  

Quel regard portez-vous sur la SNSM, asso­cia­tion de béné­voles assu­rant une mission de service public de sauve­tage des vies humaines – en mer et sur le litto­ral – et de sécu­rité civile ?

A.G. : Vous savez, je suis une fille de la mer. J’ai grandi avec les deux pieds dans l’eau salée. Je suis née à Saint-Malo, une ville de corsaires, j’ai passé la plus grande partie de ma vie à Saint-Pierre-et-Mique­lon, un terri­toire réputé pour sa pêche à la morue. Parce que je connais la mer et ses dangers, je connais égale­ment le code d’hon­neur des gens de mer : lorsqu’une personne est à l’eau, peu importe les condi­tions, peu importe les circons­tances, on met tout en œuvre pour la sauver.

La mission essen­tielle de la SNSM – à savoir secou­rir béné­vo­le­ment et gratui­te­ment les vies humaines en mer – est la mise en œuvre la plus concrète qui soit de ce code d’hon­neur.  

Pour cette raison, j’es­saye, depuis ma prise de fonc­tion et à chacun de mes dépla­ce­ments, d’al­ler à la rencontre des profes­sion­nels qui agissent au large des côtes françaises. Mon souhait, ce serait de pouvoir visi­ter chacune des deux cent quatorze stations de la SNSM répar­ties le long du litto­ral hexa­go­nal et ultra­ma­rin ! 

Le 13 octobre 2019 - La Rochelle
Annick Girar­din à la rencontre des Sauve­teurs en Mer, à La Rochelle, 13 octobre. © Julien Chau­vet

En sécu­ri­sant le public qui profite de la mer et des plages du litto­ral, la SNSM est un soutien au déve­lop­pe­ment touris­tique. Qu’en pensez-vous et comment se répar­tissent alors les rôles entre l’État et les collec­ti­vi­tés terri­to­riales au regard de leur appui à la SNSM ? 

A.G. : La sécu­rité en mer et des plages est essen­tielle pour nos vacan­ciers. La présence des sauve­teurs de la SNSM dans les dispo­si­tifs de sécu­ri­sa­tion est incon­tour­nable et contri­bue, bien sûr, au déve­lop­pe­ment touris­tique.  

Je rappelle que, même si les collec­ti­vi­tés ont la respon­sa­bi­lité de la sécu­rité des plages et de la baignade dans la bande formée par les 300 premiers mètres en mer, c’est bien l’État qui est garant de la sécu­rité en mer. Et une grande qualité des secours est permise grâce à l’ex­cel­lente coopé­ra­tion entre les pouvoirs publics et la SNSM. 

Avec la mise au point d’une nouvelle gamme de bateaux, la SNSM ratio­na­lise sa flotte de sauve­tage, pour plus d’ho­mo­gé­néité des modèles et d’ef­fi­cience de leur entre­tien, dans un contexte de trans­fert par l’État à l’ar­ma­teur des respon­sa­bi­li­tés liées à la sécu­rité des navires. Quel regard portez-vous sur ce projet d’uni­for­mi­sa­tion de la flotte ? 

C’est une très bonne nouvelle pour la SNSM et pour l’in­dus­trie française de voir ce renou­vel­le­ment.

A.G. : 50 % de la flot­tille ou presque avaient plus de vingt ans. Le sauve­tage doit pouvoir s’or­ga­ni­ser de manière plus harmo­ni­sée et l’uni­cité de cette commande était une néces­sité. Le dyna­mique chan­tier de la Société Chan­tier Naval Couach du Bassin d’Ar­ca­chon permet la SNSM de conti­nuer à remplir ses missions. Je crois beau­coup à cette logique de capa­ci­taire, comme le font les armées. On part du besoin géné­ral pour résoudre des situa­tions parti­cu­lières dans diffé­rentes stations. C’est une vraie satis­fac­tion de voir que cela est aujour­d’hui possible pour la SNSM. 

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Forma­tion des nageurs sauve­teurs – CFI Caen Ouis­tre­ham. ©Domi­nique­Mar­tel

Le Président de la Répu­blique a souli­gné l’im­por­tance de mieux recon­naître les quali­fi­ca­tions des sauve­teurs de la SNSM, qui exercent béné­vo­le­ment une « quasi-profes­sion ». Serez-vous bien­tôt, avec la Direc­tion des affaires mari­times, en mesure de leur déli­vrer des équi­va­lences avec les brevets profes­sion­nels ? 

A.G. : Oui, c’est un objec­tif. Il faut d’abord rappe­ler que la forma­tion profes­sion­nelle mari­time relève de conven­tions inter­na­tio­nales fixant des normes de forma­tion à atteindre afin qu’un orga­nisme comme la SNSM puisse réali­ser des forma­tions menant à la déli­vrance, par l’État, des brevets profes­sion­nels. Cela implique de nombreux contrôles par l’ad­mi­nis­tra­tion mari­time, qui mène actuel­le­ment un travail pour permettre à la SNSM d’y parve­nir. 

Cela requiert une évalua­tion de ses réfé­ren­tiels de forma­tion pour iden­ti­fier les diffé­rences qui peuvent exis­ter avec les réfé­ren­tiels de forma­tion conformes à la conven­tion. Et des forma­tions complé­men­taires pour­raient être deman­dées aux sauve­teurs de la SNSM en vue de l’ac­qui­si­tion d’un titre conforme.     

L’objec­tif est que les sauve­teurs béné­voles formés par la SNSM puissent, à terme, dispo­ser des titres leur permet­tant, par exemple, de candi­da­ter sur des emplois spécia­li­sés ou des acti­vi­tés mari­times rele­vant des admi­nis­tra­tions – collec­ti­vi­tés, établis­se­ments publics ou services de l’État –, et inver­se­ment. 

Par les compé­tences qu’elle trans­met à ses sauve­teurs béné­voles, la SNSM parti­cipe de façon indi­recte à la construc­tion de parcours d’em­ploi dans le domaine du mari­time. Qu’en pensez-vous ? 

A.G. : Bien sûr ! Et je dirais même que la SNSM parti­cipe direc­te­ment à la construc­tion d’un parcours d’em­ploi dans le mari­time pour des jeunes qui, souvent, connaissent le litto­ral et les loisirs nautiques mais qui n’ont pas l’oc­ca­sion de ressen­tir cet esprit d’équi­page, cette notion d’ex­pé­di­tion mari­time.  

Si nous devons aussi penser la SNSM comme une oppor­tu­nité pour des jeunes de s’im­pré­gner davan­tage d’une culture marine, nous ne devons pour autant pas bais­ser la garde sur la forma­tion des béné­voles, qui ne sont pas forcé­ment d’an­ciens navi­gants.  


Le finan­ce­ment direct de la SNSM par France compé­tences pour la forma­tion des Sauve­teurs en Mer était un enjeu majeur exprimé lors dernier Comité inter­mi­nis­té­riel de la mer. Le minis­tère de la Mer et le minis­tère du Travail s’ac­cordent-ils sur cette ques­tion ?  

A.G. : France compé­tences ne finance pas direc­te­ment les centres de forma­tion, de la SNSM ou d’autres struc­tures. Nous avons toute­fois travaillé sur une feuille de route parte­na­riale, que je souhaite pouvoir signer le plus rapi­de­ment possible. Cette feuille de route prévoit une meilleure recon­nais­sance des forma­tions dispen­sées par la SNSM et la néces­sité d’exa­mi­ner les possi­bi­li­tés de finan­cer simple­ment les actions de forma­tion. C’est un enjeu impor­tant que je partage avec Élisa­beth Borne.   

Le plan de relance va permettre de mobi­li­ser 650 millions d’eu­ros pour le mari­time. Quelle sera la part consa­crée à la sécu­rité en mer, à la forma­tion et au tourisme, autant de secteurs dans lesquels la SNSM joue un rôle impor­tant ? 

A.G. : Deux mesures du plan de relance sont spéci­fique­ment mari­times, la pêche et l’aqua­cul­ture durables et le « verdis­se­ment » des ports. Elles repré­sentent un montant de 250 millions d’eu­ros. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de place pour les bons projets mari­times ! Je pense notam­ment à la préser­va­tion du litto­ral, à la recherche, au tourisme durable ou à la forma­tion.  

J’ai évoqué le projet de Sentier du litto­ral, destiné à soute­nir les initia­tives des communes dans ce domaine, qui compte beau­coup dans l’at­trac­ti­vité du litto­ral. Sur la forma­tion, les Campus des métiers et des quali­fi­ca­tions à compo­sante mari­time, ou le Campus des Indus­tries Navales, ont des projets qui peuvent s’ins­crire dans le volet forma­tion du plan de relance. Enfin, pour la sécu­rité en mer, il est prévu de faire finan­cer par le plan de relance la moder­ni­sa­tion des centres régio­naux opéra­tion­nels de surveillance et de sauve­tage (CROSS), notam­ment de leurs systèmes de surveillance mari­time et de commu­ni­ca­tion. 

Par ailleurs, l’État avait engagé, avant la crise sani­taire, la moder­ni­sa­tion de sa flotte garde-côte, qui parti­cipe à la sécu­rité mari­time, et augmenté sensi­ble­ment sa contri­bu­tion aux inves­tis­se­ments de la SNSM, ce qui a permis de lancer le programme de renou­vel­le­ment de sa flotte. La crise sani­taire ne remet pas en cause ces enga­ge­ments. 

Inter­view recueillie par la rédac­tion du maga­zine Sauve­tage dans le maga­zine Sauve­tage n°154 (4ème trimestre 2020)