"Le Nab", marin maloin

(Portrait à relire ou à redé­cou­vrir dans le Maga­zine Sauve­tage N°122) Ses gestes sont précis. Son regard foca­lisé sur le banc de roches qui déborde la cale de Dinard. Bonnet bien campé sur la tête, Yann sait qu’il n’a pas droit à l’er­reur. Qu’il ne reste à l’heure de la marée basse qu’un petit mètre d’eau sous la quille de son navire à passa­gers de la Compa­gnie Corsaire, char­gée de trans­por­ter les touristes entre Saint-Malo et Dinard. « Aujour­d’hui, je joue les conduc­teurs de bus. » Ironise-t-il ? « Demain je leur ferai décou­vrir la baie de Saint-Malo en leur racon­tant l’his­toire des forts qui ont écrit l’his­toire de la cité corsaire. » Eton­nant person­nage, Yann Le Nabour.

A 59 ans, sa vie ressemble à un roman d’Al­varo Mutis, trop réservé pour ne pas se révé­ler au premier venu. Sûr, « Le Nab » un surnom qui lui colle à la peau depuis les années 80, une époque où il usait ses cirés sur les bateaux de course les plus pres­ti­gieux, s’est assagi avec les années. Comme les bons vins, il s’est boni­fié avec le temps. Mais marin, il était. Marin il est resté, jusqu’à occu­per depuis le 1er janvier 2012 le poste de patron titu­laire sur le Pourquoi Pas ? II, le canot tous temps SNS O72 de la station de Saint-Malo. Quand il évoque ses débuts, il ne manque jamais de rappe­ler ses maîtres : Yvon Thomas, un grand monsieur et le Comman­dant Winter qui lui a trans­mis la connais­sance parfaite des dangers de la baie. Pour Yann qui la pratique au quoti­dien, c’est une zone où il faut toujours rester sur ses gardes. « On en apprend tous les jours » tient à préci­ser l’ex prof de gym qui ne fit qu’un bref passage par l’Edu­ca­tion Natio­nale. Et d’ajou­ter simple­ment : « qu’on n’est pas là pour juger les personnes que l’on sauve. Mais pour les sortir de la “merde. »

Entré à la SNSM il y a une dizaine d’an­nées comme simple cano­tier, il recon­naît avoir toujours rêvé de sauve­tage. Depuis l’époque où encore gamin, il ne manquait pas une occa­sion de trai­ner ses sandales du côté du canot de Plou­ma­nac’h, ou de celui de Perros-Guirec, là où il fit ses premières armes en déri­veur avant de gravir toutes les marches qui le mène­ront à navi­guer avec les plus grands. Pour un peu, quand on l’in­ter­roge sur sa carrière de voileux, il s’ex­cuse d’avoir oublié les dates. « Je suis fâché avec elles », ajoute-t-il. Quelle impor­tance ? Il a touché à tout. Parcouru toutes les mers du Globe. Partagé le quoti­dien des marins qui ont écrit de grandes pages de la course au large. Dans le désordre : Florence Arthaud, Philippe Poupon, Philippe Facque, Éric Tabarly, Jean-Louis Fabry ou encore l’Aus­tra­lien John Bertrand. Tous sans excep­tion, appré­ciaient son sens de la manœuvre complété par sa passion du mate­lo­tage apprise auprès d’un “maître ès nœud” depuis long­temps disparu, Georges Commar­mond. Pour complé­ter le tableau, il faudrait y ajou­ter une prépa­ra­tion olym­pique en Soling avec Henri Samuel et des régates sur Héli­sara mené par le maes­tro Herbert Von Karajan. Sans oublier cette chute sur le pont depuis le deuxième étage de barre de flèche du Maxi Emeraude qui aurait pu le clouer dans un fauteuil roulant. En tout cas, rencon­trer Yann, c’est parta­ger sa passion, la mer. Mais c’est aussi l’écou­ter évoquer une vie où il fut au gré des années comman­dant d’un remorqueur au Gabon durant trois ans, direc­teur d’un arme­ment de pêche malouin…

Il est vrai qu’il n’a pas de week-end, mais il recon­naît avoir la chance de pratiquer le métier qu’il aime.  C’est vrai aussi qu’il occupe ses soirées à donner un coup de main à sa compagne, Chris­tine qui a créé il y a douze ans, la société « Vent de Voyage ». Une fabrique de sacs et d’ac­ces­soires confec­tion­nés à partir de voiles usagées que Yann termine en se char­geant des travaux de mate­lo­tage. Ses rares loisirs, il les occupe à dévo­rer les romans de Conrad ou de Roger Vercel ou à reta­per sa maison de Saint-Malo qui voit débarquer-sans préve­nir- son fils Quen­tin. Seule­ment 22 ans, mais déjà un lourd passé de réga­tier marqué par une première parti­ci­pa­tion à la Soli­taire du Figaro. On connaît le dicton, tel père, tel fils. Il se véri­fie chez Le Nabour…

Bernard Rubin­stein