Les Jacobée, plus de quarante ans de sauvetage… et ça continue !

Sour­cils brous­sailleux surmon­tant un regard mali­cieux, Patrick Jaco­bée est radieux, ce 1er novembre au Casino d’Ar­zon, malgré le fauteuil roulant où une méchante mala­die l’a cloué depuis la retraite. Monsieur Jean Glavany, ami navi­ga­teur de longue date, lui remet la médaille d’Of­fi­cier du Mérite Mari­time, en présence du Maire de la commune, Gérard Labove et de M. Guillon-Verne, délé­gué dépar­te­men­tal de la SNSM. Lui qui souhai­tait une remise discrète est entouré de tous les cano­tiers bien entendu et de très nombreux amis. C’est près d’une centaine de personnes qui le féli­cite chaleu­reu­se­ment, recon­nais­sant son inves­tis­se­ment de toute une vie dans le sauve­tage, déjà récom­pensé en 2009 par la Médaille de Vermeil de la SNSM.

 

Premiers sauve­tages sans aucun moyen.

C’est en 1969, alors que Patrick et son frère Max ont ouvert un chan­tier mari­time dans la petite baie, qui devien­dra plus tard le port du Crouesty, qu’ils sont solli­ci­tés par Féli­cien Glajean dont la vedette actuelle porte le nom, pour deve­nir « Sauve­teurs en Mer » dans l’As­so­cia­tion qui est encore les « H.S.B », les « Hospi­ta­liers Sauve­teurs Bretons ». Ils adhèrent immé­dia­te­ment à la demande, dans des condi­tions pour­tant diffi­ciles qui sont main­te­nant inima­gi­nables. Ils n’ont aucun moyen, les secours sont acti­vés par une antenne des Douanes basée sur la commune mais doivent à chaque inter­ven­tion trou­ver une embar­ca­tion. Certes, les Douanes disposent d’un bateau mais il est régu­liè­re­ment en panne et la procé­dure la plus fiable est l’ap­pel à un marin pêcheur dispo­nible qui embarque les Sauve­teurs. Fort heureu­se­ment, les alertes sont rela­ti­ve­ment rares, la plai­sance est encore peu déve­lop­pée et les profes­sion­nels se portent assis­tance mutuel­le­ment dès qu’un des leurs « hisse un ciré dans la nature » comme le rappelle Patrick. Ils ne pensent pas encore qu’ils commencent à écrire l’his­toire de la station S.N.S.M d’Ar­zon !


Enfin une vedette !

La station balnéaire prend son essor, les « H.S.B » se fondent dans la Société Natio­nale de Sauve­tage en Mer et une petite vedette est affec­tée le temps de la période esti­vale. A l’is­sue d’un immense chan­tier, le port du Crouesty est mis en eau en 1974. La plai­sance explose et la station est dotée d’une véri­table vedette de sauve­tage en 1977. Patrick y prend les fonc­tions de Méca­ni­cien Radio et ses compé­tences seront souvent appré­ciées, lui qui « est capable de répa­rer beau­coup de choses avec un bout de ficelle ou de fil de fer ». Max, quant à lui, est cano­tier avant de deve­nir Patron de la SNS 114 « Vice-amiral d’Har­court », fonc­tion qu’il exer­cera pendant 15 ans, conjoin­te­ment avec celle de Président de la Station à comp­ter de 1983. Mais, dit-il, « le Président doit avoir du recul » et pour éviter le cumul, il rede­vient cano­tier tandis que Patrick prend les fonc­tions de Patron en 1992. Depuis cette date jusqu’à la retraite, ce dernier accom­plira presque toutes les inter­ven­tions, soit envi­ron 1800 durant sa carrière de sauve­teur, toujours prêt à rejoindre le quai dès l’ap­pel de la sirène ou du « bip », quit­tant son chan­tier ou ses nombreux passe-temps : la chasse au sanglier, la réfec­tion de voitures de collec­tion ou la pein­ture artis­tique… sans négli­ger son enga­ge­ment de pompier volon­taire, acti­vité qu’il quit­tera à la limite d’âge au grade d’adju­dant-chef, adjoint au respon­sable du corps.

Pour le sauve­tage en mer, le relais était tout trouvé. Dès leurs 18 ans, les deux fils de Max ont embarqué comme cano­tiers. L’un d’entre eux, Yann, est main­te­nant parti dans l’océan indien mais l’autre, « Manu » est resté au pays et s’est investi dans le secours béné­vole, tant au corps des Pompiers où il vient d’être honoré, en tant que Sergent-chef, pour ses 20 ans de service, qu’au secours en mer. Plon­geur puis radio, il devient patron suppléant en 2008. Déten­teur du brevet « capi­taine 200 », il prend la barre comme Patron titu­laire au départ de son oncle Patrick. Pour lui, parti­ci­per au sauve­tage est une chose natu­relle  puisque, comme il dit : « j’ai toujours connu ça à la maison ».

Tous trois rendent un hommage appuyé à l’équi­page, « toujours soudé », souligne Patrick qui précise « une fois à bord, on oublie les carac­tères diffé­rents, on est tous unis pour une même mission ». Max ajoute : « Parfois, ça peut être tendu en inter­ven­tion mais, ensuite, tout se calme au débrie­fing ». Et les situa­tions tendues, ils connaissent ! Pas seule­ment en sauve­tage d’ailleurs mais, par pudeur et modes­tie, ce n’est pas facile d’ob­te­nir des confi­dences. Comme dit Max, « on n’aime pas parler de nous », même si on tente l’ap­proche d’une navi­ga­tion hors norme en lui parlant de la Fast Net 79. Fort heureu­se­ment on arrive à obte­nir quelques éléments par la bande (de copains) pour comprendre la capa­cité du navi­ga­teur, 18 heures à la barre d’un bateau de 12 mètres chargé d’un rôle de jury dans  « la course de l’au­rore », par des creux de 15 mètres et un anémo­mètre bloqué à 80 nœuds. Il recon­naît quand même : « une nuit terrible ». La course anglaise déplo­rera 18 morts, celle des français subira de la casse sur plusieurs bateaux mais, pas de victime.


En route pour l’Ely­sée

Sur les sauve­tages, les deux frères sont aussi peu diserts. Max évoque toute­fois certaines missions parti­cu­lières comme cette réqui­si­tion de Justice dans un hiver des années de 1980 où, par un temps de chien, la vedette trans­porta magis­trats, méde­cin-légiste, poli­ciers et deux déte­nus dans une île du Golfe du Morbi­han où le corps d’un jeune ermite assas­siné fut décou­vert.

Pour Max et Patrick, le plus extra­or­di­naire fut peut-être une invi­ta­tion à la Garden-party de l’Ely­sée voici quelques années. Dans un premier temps, ils avaient pensé à un canu­lar mais, non, la Préfec­ture avait confirmé l’au­then­ti­cité du carton. « J’ai même dû m’ache­ter un costume neuf » précise Patrick, d’un ton amusé. Aucun d’entre eux ne connaît l’ori­gine de cet honneur, vrai­sem­bla­ble­ment un navi­ga­teur assisté recon­nais­sant et anonyme.

Quant à Manu, il partage avec son père le souve­nir d’une inter­ven­tion origi­nale. Max avait la charge de ses deux fils encore enfants pendant que la maman était au travail… survient une demande d’as­sis­tance à quelques miles du Crouesty. Aucun problème, voilà les deux gosses bien à l’abri dans la vedette et la mission est effec­tuée. Alors que l’équi­page secouru va être mis en sécu­rité dans un port voisin, nouvelle demande d’in­ter­ven­tion à une distance beau­coup plus impor­tante, au large du Croi­sic. Que faire des enfants ??? Ils seront lais­sés à la charge des plai­san­ciers en atten­dant que des amis viennent les récu­pé­rer.

Max se permet toute­fois d’évoquer avec fierté l’an­cienne vedette, la 114, qui, lors de son chan­ge­ment après 27 ans de navi­ga­tion avait toujours les hélices d’ori­gine, preuve que  jamais un Jaco­bée ne talonna ! Quant à la moti­va­tion de toute la famille dans le sauve­tage, c’est « simple­ment pas esprit civique » dit-il, « un besoin d’ap­por­ter une contri­bu­tion à la société ». Voilà sûre­ment pourquoi il est conseiller muni­ci­pal !

(Extrait du maga­zine Sauve­tage N°123)