Un 1er janvier pas comme les autres pour les Sauveteurs en Mer de la SNSM

Brume dense, nuit profonde, moteur en panne et batte­rie de télé­phone vide se sont ligués dans le golfe du Morbi­han pour gâcher le 1er janvier d’un plai­san­cier échoué et de 4 équi­pages de Sauve­teurs en Mer de la SNSM, partis à sa recherche pendant plus de 6 heures.

 

Un réveillon pas comme les autres

Des réveillons, il en est de fameux dont on ne se souvient plus. D’autres qu’on préfé­re­rait oublier. Quelques-uns qui vous marquent à jamais. Sa Saint Sylvestre 2016, Marc B. n’est pas prêt de l’ou­blier. Ni ses sauve­teurs après 6 h 40 de recherches.

Basé sur l’île aux Moines, perle du golfe du Morbi­han, Marc, la cinquan­taine, appa­reille sur son Gédéon (un canot à moteur de 6,15 mètres). Son but : gagner Port-Blanc sur le conti­nent puis retrou­ver des amis pour fêter la nouvelle année. Il se dépêche. La nuit tombera bien­tôt. Déjà, des écharpes de brume lourde se répandent sur une mer facile à peine ridée par un nordet léger. La visi­bi­lité – 400 mètres- reste accep­table. Marin expé­ri­menté, Marc est pressé mais sans inquié­tude. Il a l’ha­bi­tude de ce trajet : une affaire de quelques minutes. Sauf que le golfe manque de balises lumi­neuses ; sauf que la brume épais­sit toujours. Elle naît et pros­père d’un air trop froid (0°) au-dessus d’une eau trop chaude (9° ce soir-là), celle du golfe du Mor Bihan – deux mots bretons pour « Petite Mer ».

Soudain le moteur du Gédéon cafouille, cale et se tait obsti­né­ment. Plus d’élec­tri­cité. Mauvaise farce au mauvais moment de ce Gédéon, canard mythique et moqueur du dessi­na­teur Benja­min Rabier connu aussi pour sa « Vache qui rit ». Dans cette purée de pois, sans élec­tri­cité et donc sans GPS, le marin n’a bien­tôt plus aucune idée de sa posi­tion. Lui et son canot sont à la merci du courant de marée. Une chance dans ce malheur : elle est montante. Elle ne peut le pous­ser vers Port-Navalo et l’es­tuaire du golfe d’où, au jusant, s’échappe l’un des plus puis­sants courants d’Eu­rope. À 4 m / sec, il entrai­ne­rait Marc et son Gédéon vers le Mor Braz, la Mer Grande, l’At­lan­tique.

 

Inter­mi­nable nuit de la Saint Sylvestre

Lente­ment passe le temps sans que Marc parvienne à repé­rer l’ori­gine de sa panne d’élec­tri­cité. Sans non plus pouvoir deman­der assis­tance : vide, la batte­rie de son télé­phone le coupe du monde. Alors qu’il devrait déjà festoyer avec ses proches, coupe de cham­pagne à la main, il dérive puis s’échoue en douceur. Ses seules options : jeûner, se serrer dans une mince couver­ture, claquer des dents, attendre le jour. On finira bien par s’inquié­ter pour lui.

De fait, ses amis s’inquiètent : pas de réponse du portable muet de Marc. Et pour cause. Minuit passe. L’an nouveau est entamé de plus d’une heure quand ils se décident à joindre la gendar­me­rie. Non, aucun acci­dent de la route impliquant Marc n’est à déplo­rer. Reste l’hy­po­thèse d’un problème en mer. Serviables, les gendarmes relayent vers le CROSS à Etel.

À 1 h 40 du 1er janvier, les cano­tiers de la station SNSM de Port-Blanc sont enga­gés et appa­reillent dans le brouillard, une fois de plus : quelques heures plus tôt, ils se sont déjà portés au secours d’une femme. Prise d’une violente crise d’asthme, ils l’ont évacuée de sa maison sur l’île d’Arz, l’une des trente qui ponc­tuent le golfe. Les revoilà à l’œuvre pour trois longues heures qui reste­ront vaines. Leur patron raconte : « À bord de notre canot [le semi-rigide SNS 605 Jean-Pierre Le Roch], on a lancé le gyro­phare et le projec­teur, fait hurler la sirène de brume et patrouillé toute une zone en parti­cu­lier dans le secteur des îles Logo­den, le plus logique en cas de dérive. Mais rien. De toutes les façons, on n’y voyait pas à 10 mètres ».  Et Marc complète : « J’ai aperçu l’éclat étouffé de leur projec­teur et entendu leur sirène. J’ai agité ma lampe de poche à m’en décro­cher le bras. Mais ils ne m’ont pas vu. La brume noyait tout ». Pince­ment au cœur quand des secours si proches s’éloignent et dispa­raissent dans un néant noir et brumeux. Un tir de fusées aurait sans doute renversé la situa­tion. Conso­la­tion pour Marc : on le recherche. Il reste confiant. Au jour, sa situa­tion s’ar­ran­gera.

À Etel, le perma­nent du CROSS est arrivé à la même conclu­sion logique. À 4 h du matin, les recherches des Sauve­teurs en Mer de la SNS 605 sont donc suspen­dues. Elles repren­dront à l’aube tardive du 1er Janvier. À la lumière. En espé­rant que la brume se dissipe un peu. Vers 8 h 30, la SNS 605 four­bue reprend sa longue quête. Et avec elle :

  • La SNS 145 Féli­cien Glajean des Sauve­teurs en Mer de la station SNSM d’Ar­zon Port-Navalo,
  • Le semi-rigide SNS 5697 Président Louis Tatte­vin,
  • Le canot SNS 282 Patron Alain Delau­nay de la station SNSM du Golfe du Morbi­han.

Une armada riche d’un intime et très complet savoir du golfe et de ses pièges. À chaque canot, le CROSS a assi­gné une zone de recherche précise. Elles corres­pondent à toutes les éven­tua­li­tés nées des chan­ge­ments de marée et des nombreuses vasières. Celles-ci repré­sentent près d’un tiers de la surface du golfe du Morbi­han lequel s’étend sur 20 km d’est en ouest et 10 km du nord au sud. 

À son mouillage de fortune, Marc profite du jour qui point pour recher­cher la cause de sa panne. Alors qu’il l’iden­ti­fie enfin et parvient à relan­cer son moteur, la SNS 605 se présente et se porte à couple. De ses sauve­teurs, il apprend sa posi­tion : les Iles Logo­den. Celles des « souris », celles aussi du film « Mon oncle d’Amé­rique » d’Alain Resnais. Escorté par le SNS 605, le Gédéon farceur regagne l’île aux Moines vers 10 h du matin. En guise de réveillon, Marc, affamé par sa nuit blanche et glaciale, s’offre un solide petit déjeu­ner. Alors que les autres canots de la SNSM ont retrouvé leurs mouillages, la SNS 605 repart  pour une nouvelle mission… Dans le Morbi­han, 2017 aura débuté fort : finan­cées par les dons, 6h et 40 minutes de recherches dès le 1er janvier. Vive l’an neuf !

 

Quelques conseils…

  • Ne pas appa­reiller à la nuit tombante dans un secteur mal balisé quand les condi­tions météo locales promettent une brume épaisse.
  • Tirer des fusées quand, sur zone, les secours sont proches.
  • Rete­nir que l’in­ci­dent / l’ac­ci­dent se produit rare­ment au large mais le plus souvent près de chez soi, dans le secteur qu’on connait le mieux.
  • Toujours dispo­ser d’un télé­phone chargé. Dans une pochette étanche. Au bout d’un cordon soli­daire. Et, mieux encore, d’une VHF indi­vi­duelle. Char­gée, elle permet de joindre les secours à coup sûr et de commu­niquer avec eux. Avec une VHF en bon ordre, Marc aurait pu guider jusqu’à lui la SNS 605 qu’il devi­nait dans la brume.
  • Infor­mer ses proches du plan de navi­ga­tion et de l’heure d’ar­ri­vée probable (ETA). Dans le cas de Marc, plus de 5 h se sont écou­lées avant l’ap­pel au CROSS…
  • Soyez prudent !

Nos béné­voles sont entraî­nés et équi­pés pour effec­tuer ce type de sauve­tage. Grâce à votre soutien, vous les aidez à être présents la prochaine fois !
 

D’après un article de Patrick Moreau, paru dans le Maga­zine Sauve­tage n° 139 (1er trimestre 2017).

 

Soute­nez les Sauve­teurs en Mer de la SNSM !