Foc et grand-voile soigneusement ferlés, le Verloff, voilier de 7,5 m battant pavillon hollandais, est en dérive au large de la plage de Réthoville, à la pointe du Cotentin entre Fermanville et Barfleur. Depuis l’estran, deux témoins l’observent. Ils s’étonnent des évolutions erratiques du hollandais parti de Cherbourg le matin même de ce 5 novembre. « Il aura tôt fait de se mettre sur les cailloux » remarque l’un d’eux. À peine dite, la prophétie se réalise : le hollandais se vautre. À son bord, en partie masqué par les prélarts bleus tendus sur les filières du cockpit, un homme s’affaire. Il met son annexe à l’eau, y embarque mais – stress de l’abandon ? – il perd l’équilibre et tombe à l’eau.
Mesurant la situation d’un coup d’œil, l’un des témoins compose le 196 sur son portable : « Allo, le CROSS ? ». Depuis Jobourg, le permanent déclenche la chaîne des secours. En plus de la SNS 460 Cap Lévy II des Sauveteurs en Mer de la station SNSM de Fermanville, à proximité immédiate, il engage le patrouilleur A 713 Aramis, anciennement de la Marine Nationale, maintenant affecté à la Gendarmerie maritime. Cette unité de 32 m ne peut apporter un secours direct au voilier en perdition : son tirant d’eau lui interdit une approche immédiate… Elle peut lancer de son bord des moyens plus légers. L’Aramis annonce une ETA (temps estimé d’arrivée) de 20 min. En vol dans le secteur, un hélicoptère EC 135 T2 affecté aux Douanes du Havre est dérouté par le CROSS. Son pilote confirme une ETA de 4 min pour rejoindre le hollandais échoué.
Un naufragé mystérieux
Sur la plage de Réthoville, les deux témoins se font samaritains. Ils aident le marin du hollandais à sortir de l’eau glacée. Après une nage de 800 m, il est épuisé, ne parle aucun langage compréhensible… Ils l’installent, dégoulinant, au chaud dans leur voiture. Dans le ciel maussade, les douaniers de l’hélicoptère ont suivi ce transfert. Tandis que la SNS 460 est en approche, le pilote est prié de poser son appareil agile (une qualité reconnue dans le monde entier où opèrent 1 500 exemplaires de ce modèle construit par Eurocopter). Négligeant l’annexe vide qui a dérivé 50 m plus loin, l’un des douaniers débarque pour s’enquérir de l’état et de l’identité du rescapé : un russe ! Navigant sous pavillon hollandais ? Naufrageant en solitaire sur une plage française ? Vous avez dit bizarre ? Pour l’heure, l’urgence est autre : l’homme est en hypothermie. Une ambulance des pompiers est bientôt sur place pour l’emporter au centre hospitalier Louis Pasteur de Cherbourg.
Une intrigue bancale…
À la SNS 460 de maintenant jouer son rôle. Son patron, Cyril Legat, fait réduire les deux hors-bords Suzuki. Il connaît bien la réponse de ces deux fois 155 CV et celle de sa coque légère (9 m, toute en alu). Il arrondi sa manœuvre. Au plus près du Verloff mais en sécurité, il dépose Stéphane Augiron, le plongeur du bord, qui passe à l’eau avec trois missions :
- Vérifier qu’il n’y a pas d’autre passager à bord.
- Evaluer l’état de la coque (une faible voie d’eau sera repérée).
- Etablir une remorque.
En allure réduite, la SNS 460 a tôt fait de dégager le voilier en mauvaise posture puis de le conduire à quai près des pompes à essence du port de Chantereine en rade de Cherbourg. Pour les Sauveteurs en Mer bénévoles, la mission est terminée vers 14 h.
Reste leur curiosité : quel est le sort du rescapé ? La presse locale a tôt fait de les renseigner. La rumeur des quais aussi. Le Verloff et son skipper intéressent vivement gendarmes maritimes et douaniers… Assez pour que ceux-ci aillent le cueillir à la sortie de l’hôpital Louis Pasteur pour le presser de questions. Normal, car la combinaison pavillon hollandais et passeport russe est rare en Normandie. Normal en ces temps d’alerte maximum. Normal quand la Manche est parcourue de nombreux trafics allant de la drogue au passage de clandestins. Cependant, rien ne justifiera de retenir le skipper russe. Écœuré, celui-ci quittera le territoire abandonnant son voilier. Juste un parfum de polar. Pour un best-seller, il faudrait plus…
Nos bénévoles sont entraînés et équipés pour effectuer ce type de sauvetage. Grâce à votre soutien, vous les aidez à être présents la prochaine fois !
D’après un article de Patrick Moreau, paru dans le Magazine Sauvetage n° 139 (1er trimestre 2017).
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Équipage de la SNS 460
Patron : Cyril Legat
Patron suppléant : Jean-Pierre Geismar
Canotiers : Jean-François Doucet, Franck Boizet, Sébastier Travert
Plongeur de bord : Stéphane Augiron
Treuillistes : Yann Leparmentier, Daniel Léonard