Augmentation des sauvetages auprès d’embarcations de migrants en Mer du Nord et dans la Manche

En dépit de l’aug­men­ta­tion des inter­ven­tions auprès d’em­bar­ca­tions de migrants, en Mer du Nord et dans la Manche, les sauve­teurs de la SNSM conservent un sens intact de l’en­ga­ge­ment.

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« Dans l’attente des secours, le navire-citerne avait fait abri au vent pour protéger le bateau et éviter qu’il ne coule. » © SNSM Dunkerque

Emma­nuel Pelle­tier consulte son ordi­na­teur. Le patron du SNS 087 Jean Bart II comp­ta­bi­lise les comptes-rendus de ses sorties dans les envi­rons du port de Dunkerque. «  Depuis six mois, observe-t-il, les inter­ven­tions de notre canot tous temps s’en­chaînent auprès d’em­bar­ca­tions de migrants.  »

Sur la zone Gris-Nez, la plus concer­née par ce type d’opé­ra­tions de sauve­tage, la SNSM dénombre 143 inter­ven­tions par les stations de Berck-sur-Mer, Boulogne-sur-Mer, Calais, Grave­lines et Dunkerque depuis le début de l’an­née 2021. La très grande majo­rité concer­nait des migrants. L’aug­men­ta­tion du nombre de traver­sées entre­prises ferait suite à la construc­tion de murs aux abords de la rocade portuaire de Calais en 2016, à la demande des auto­ri­tés britan­niques, pour dissua­der les candi­dats à la migra­tion de monter à bord de ferries. Depuis, ceux-ci font appel à des passeurs et paient très cher pour embarquer sur des bateaux. Au péril de leur vie. «  Ils ne connaissent rien à la mer  », rapporte Céline Delan­noy, béné­vole SNSM à la station de Dunkerque depuis trois ans. «  Pour gagner l’An­gle­terre, on leur dit : « Allez tout droit »  », explique cette sapeuse-pompière. 

27 milles séparent Calais de Douvres. Soit envi­ron 50 kilo­mètres. Sur le papier, la traver­sée semble simple. Les migrants choi­sissent souvent les jours de beau temps pour l’en­tre­prendre. Mais les embar­ca­tions sont peu sûres, les pannes très courantes. Les marins d’un jour s’ex­posent à des colli­sions avec de grands navires et à de gros­sières erreurs de navi­ga­tion. En outre, par appât du gain, les passeurs imposent un nombre de passa­gers exces­sif. À tel point que «  les francs-bords sont très bas sur l’eau  », rapporte Bertrand Hudault, inspec­teur géné­ral Manche-Mer du Nord et Outre-mer. «  Dès lors, les acci­dents sont nombreux. Les inter­ven­tions de la SNSM en deviennent plus fréquentes.  »

Sauvetage de seize personnes en difficulté le 4 octobre 2020
Sauve­tage de seize personnes en diffi­culté le 4 octobre 2020 © SNSM

À Dunkerque, celle du 9 juillet 2021 a permis de sauver quarante-deux personnes. À 12 h 15, l’un des passa­gers d’une embar­ca­tion de fortune – un Zodiac – demande assis­tance. Sa posi­tion est commu­niquée par What­sApp à l’aide d’un point GPS. Un drone du CROSS Gris-Nez la repère. Dans la foulée, à 12 h 52, la SNSM est enga­gée. Cinq sauve­teurs embarquent. «  Et à 13 h 26, le pneu­ma­tique était en vue, raconte le patron du Jean Bart IISous le poids des naufra­gés, le fond du bateau avait craqué.  » Immé­dia­te­ment, trois nageurs se mettent à l’eau pour venir au secours des passa­gers, dont plusieurs sont déjà à la mer. Une à une, les quarante-deux personnes sont trans­bor­dées sur ce canot de 17,6 m. À 14 h 40, le SNS 087 est de retour au port. «  Cela a été rapide  », constate le patron à la lecture du compte-rendu. Mais ce n’est pas toujours le cas. Les inter­ven­tions auprès de migrants, qui exigent des pleins de gasoil, des centaines de couver­tures et des vivres, mobi­lisent souvent les béné­voles plusieurs heures, parfois des nuits entières. «  Ce sont des sorties plus longues que les sorties habi­tuelles, dont la durée moyenne est de deux heures  », explique Bertrand Hudault. Ces opéra­tions marquent à jamais les sauve­teurs.

Les inter­ven­tions auprès d’em­bar­ca­tions de migrants sont éprou­vantes pour les Sauve­teurs en Mer béné­voles

Emma­nuel Pelle­tier revient sur le sauve­tage de seize personnes dans la nuit du 4 octobre 2020. «  La pire des opéra­tions  », se remé­more-t-il près d’un an plus tard. L’em­bar­ca­tion était à la dérive, vingt-quatre heures après avoir quitté les côtes françaises. Un chimiquier1 avait alerté le CROSS Gris-Nez et donné leur posi­tion : presque 28 milles des côtes, soit presque 52 kilo­mètres. Le vent souffle fort. «  Il nous aura fallu deux heures pour y aller. Et cinq heures pour en reve­nir, se souvient le patron. Dans l’at­tente des secours, le capi­taine du cargo avait fait abri au vent pour proté­ger le bateau et éviter qu’il ne coule.  » La manœuvre du navire-citerne a sauvé l’em­bar­ca­tion. Mais il a fallu qu’un nageur de la SNSM plonge pour l’amar­rer et la rame­ner à l’ar­rière du Jean Bart II. «  C’était très intense, physique  », se rappelle Emma­nuel Pelle­tier. À la barre de ce bateau insub­mer­sible, celui qui est aussi pilote mari­time au port de Dunkerque manœuvre pour main­te­nir l’em­bar­ca­tion à couple de la plate-forme du SNS 087. L’équi­page hisse à bord les naufra­gés, épui­sés, qui tiennent à peine debout : seize vies sauvées.

À la tombée de la nuit, le bateau repart. Malheu­reu­se­ment, il essuie une tempête «  avec le vent et la mer dans le nez  », rapporte Emma­nuel Pelle­tier, qui n’a pas oublié avoir barré «  dans le froid, sans repère  ». À bord, naufra­gés et béné­voles sont érein­tés, malades. Le canot tous temps revient au port à 23 h 37. «  Sans blessé  », se féli­cite celui qui est entré à la SNSM voilà dix ans. Mission accom­plie.

Le retour n’est cepen­dant pas simple. Car la déter­mi­na­tion des migrants à traver­ser la Manche est grande. Et, sur ces bateaux où les sauve­teurs sont désor­mais confron­tés à «  des familles, des femmes enceintes et, parfois même, des nour­ris­sons  », rapporte le docteur Charles Hudelo, béné­vole SNSM à Dunkerque, «  l’échec de la traver­sée suscite la détresse et une anxiété majeure, percep­tibles dans leurs regards  » à défaut de commu­ni­ca­tion verbale. Les sauve­teurs «  ne rentrent jamais chez eux chacun de leur côté  », note ce dernier. Souvent, peu après ces missions, l’équi­page se rassemble pour en discu­ter, faire retom­ber la pres­sion et amélio­rer encore les procé­dures d’in­ter­ven­tion.

Ça ne lasse jamais de sauver une vie humaine.

Céline Delan­noy, équi­pière à la SNSM de Dunkerque.

L’in­ten­sité de ces opéra­tions de sauve­tage n’al­tère en rien l’en­ga­ge­ment des sauve­teurs. Il reste intact. «  Parce que sauver, c’est notre mission. Le CROSS  nous dit d’y aller. On y va. C’est tout  », assure Éric Weis­be­cker, président de la station de Grave­lines. Aucun membre de la SNSM ne fait «  la diffé­rence entre le plai­san­cier en panne d’es­sence et celui qui va cher­cher l’el­do­rado en Angle­terre  », souligne ce dernier. Et peu importe que les bateaux de migrants soient «  plus grands, plus nombreux que par le passé  », rapporte Céline Delan­noy, équi­pière âgée de 34 ans embarquée sur le Jean Bart II. Elle fait partie de ceux qui secourent ces malchan­ceux et recon­naît humble­ment que «  Ça ne lasse jamais de sauver une vie humaine.  »

1– Un chimiquier est un navire-citerne destiné au trans­port de produits chimiques

«  L’échec de la traver­sée suscite la détresse et une anxiété majeure.  » © SNSM

Article rédigé par Juliette Garnier-Sciard, diffusé dans le maga­zine Sauve­tage n°157 (3e trimestre 2021)