Interview de Bruno Maestracci, expert de la gestion de crise et des secours

Contrô­leur géné­ral de sapeurs-pompiers, Bruno Maes­tracci est un expert reconnu de la gestion de crise et des secours. Aujour­d’hui direc­teur du SDIS 77 – l’un des plus impor­tants de France –, il tire les ensei­gne­ments du rappro­che­ment opéra­tion­nel de la SNSM et des pompiers en Corse-du-Sud, où il était précé­dem­ment en poste.

Bruno Maestracci
Bruno Maestracci est un expert en gestion de crise et des secours. Il a réalisé de nombreuses missions à l’étranger et en France, à terre et en mer, certaines en lien avec la SNSM © Alain Humbert

Vous avez une grande connais­sance des services de secours dans le monde et des dangers auxquels sont expo­sées les popu­la­tions litto­rales. Quels liens avez-vous noués avec la SNSM lors de votre précé­dente affec­ta­tion, en Corse-du-Sud ?

Bruno Maes­tracci : Comme souvent, la vie est faite de rencontres, elles l’en­ri­chissent ou lui permettent de prendre une autre direc­tion. Celle que j’ai faite avec le centre de forma­tion et d’in­ter­ven­tion SNSM situé à Propriano et son direc­teur Antoine-Jean Gian­netti fait partie de la première caté­go­rie. Nous avons trouvé ensemble les moyens d’op­ti­mi­ser la manière de porter secours. Chaque maillon de la chaîne des secours compte. Nos travaux ont débou­ché sur une conven­tion locale entre le SDIS, le CROSS et la SNSM. Elle permet de coor­don­ner la demande de secours sur le litto­ral côtier et dans la bande des 300 mètres afin d’en­ga­ger le moyen le plus proche de l’ap­pe­lant et ainsi de gagner de précieuses minutes en situa­tion d’ur­gence. Le bateau du poste d’in­ter­ven­tion de la SNSM confie ensuite la victime aux pompiers.

Ainsi, tout comme les pompiers, les postes de secours de la SNSM et ses patrouilleurs, des bateaux qui viennent en renfort des postes de secours peuvent inter­ve­nir. Cette orga­ni­sa­tion a été vali­dée dans la région de Propriano avant d’être déployée, l’an­née suivante, sur tout le litto­ral de la Corse-du-Sud, où certains endroits sont très diffi­ciles d’ac­cès et les héli­co­ptères pas toujours immé­dia­te­ment dispo­nibles. Cela n’a toute­fois pas été possible à Ajac­cio, qui est une zone très parti­cu­lière mais où nous avons deux casernes. On pour­rait envi­sa­ger de déve­lop­per cela. Il y a toute­fois une diffi­culté. Contrai­re­ment à la SNSM qui est une et unique, nous avons autant d’or­ga­ni­sa­tions diffé­rentes que de SDIS qui couvrent le litto­ral ! On a du mal à avoir une doctrine qui s’ap­plique au niveau natio­nal. Il faudrait peut-être orga­ni­ser une conven­tion avec tous les direc­teurs des SDIS et la SNSM.

La SNSM est de plus en plus mobi­li­sée pour des missions de sécu­rité civile, telles que le soutien aux popu­la­tions en période pandé­mique ou les dispo­si­tifs prévi­sion­nels de secours pour des événe­ments spor­tifs ou cultu­rels. Quel regard portez-vous sur la SNSM en tant qu’ac­teur dans ce domaine ?

B.M. : Le terme sécu­rité civile est propre à l’or­ga­ni­sa­tion française. Au niveau euro­péen, cela s’ap­pelle la protec­tion civile. C’est une défi­ni­tion plus large mais, pour moi, ces acti­vi­tés sont tota­le­ment liées à celles du secours en mer. De même qu’on ne peut pas être un bon concer­tiste si on n’a pas fait ses gammes, on ne peut pas être un bon secou­riste mari­time si on ne s’est pas entraîné à terre dans une piscine, si on n’est pas garant de sa forme physique et si on n’a pas exercé des acti­vi­tés de secou­riste. Or, ces acti­vi­tés présentent un inté­rêt pour le main­tien des capa­ci­tés physiques et opéra­tion­nelles des uns et des autres. Chaque acteur de sécu­rité civile est le bien­venu dans cette grande famille. Ce n’est pas un appel mais la présence de la SNSM dans les vacci­no­dromes avec les sapeurs-pompiers lui donne­rait une visi­bi­lité supplé­men­taire auprès des dona­teurs. Les sauve­teurs de la SNSM pour­raient aussi y parfaire leur forma­tion de secou­riste au contact des sapeurs-pompiers, qui ont davan­tage de pratique.

Les problé­ma­tiques actuelles – la Covid, les événe­ments clima­tiques – vont-ils modi­fier le rôle des acteurs de sécu­rité civile et, si oui, de quelle façon ?

B.M. : Je n’ai pas de boule de cris­tal ! On essaye toujours de raison­ner, par exemple dans le cadre de la récente COP26, pour se rassu­rer mais, depuis quarante ans, je n’ai pas connu d’évé­ne­ment lié aux condi­tions natu­relles ou météo­ro­lo­giques sans qu’il y ait, à la fin, les services de secours qui y soient asso­ciés. À la SNSM, vous ne le savez que trop, c’est souvent quand le bateau coule que le capi­taine lance un SOS ! Faut-il attendre que la Terre coule pour qu’on réflé­chisse aussi à la problé­ma­tique de sécu­rité civile et pourquoi nous ne sommes pas dans la boucle ?

Les pompiers plongeurs consultent un document
Les pompiers de Seine-et-Marne peuvent inter­ve­nir lors d’inon­da­tions et d’ac­ci­dents sur des bases nautiques © Léonard Ortuso

Peut-être ne veut-on pas voir le mauvais côté de la chose, mais il va falloir prévoir les inter­ven­tions des services de secours. On parle, certes, de préven­tion, mais c’est très vague. Ce mot recouvre des réali­tés très diffé­rentes en termes opéra­tion­nels. À mon sens, un travail de prépa­ra­tion et de plani­fi­ca­tion opéra­tion­nelle s’im­pose. Aujour­d’hui, chacun travaille dans son coin, en silo, et ce n’est pas propre à résoudre des crises d’une grande ampleur et inten­sité, sur un vaste terri­toire, qu’il soit mari­time ou terrestre.

La forma­tion des nageurs sauve­teurs et des équi­pages de la SNSM est au cœur des préoc­cu­pa­tions de l’as­so­cia­tion. La profes­sion­na­li­sa­tion de nos béné­voles est indis­pen­sable pour mener à bien les inter­ven­tions. Dans cette pers­pec­tive, quels seraient, selon vous, les liens à déve­lop­per entre les pompiers et la SNSM ?

B.M. : La forma­tion est pour moi le premier creu­set d’échanges, de compré­hen­sion, de partage des valeurs et de maîtrise des tech­niques opéra­tion­nelles en commun afin d’avoir des proto­coles opéra­tion­nels iden­tiques. En effet, la première mission à laquelle nous sommes confron­tés est de sauver sans se mettre en danger. Pour assu­rer la sécu­rité et des sauve­teurs et des sauvés, il faut bien que l’on ait des procé­dures simi­laires. Or, aujour­d’hui, nous avons des cursus de forma­tion diffé­rents, des méthodes et des engins qui peuvent être diffé­rents. Là aussi, il est temps de réflé­chir à une approche commune.

Note de la rédac­tion : L’au­teur s’ex­prime à titre person­nel et ses propos ne sauraient enga­ger ni la Direc­tion géné­rale de la sécu­rité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), ni le service dépar­te­men­tal d’in­cen­die et de secours de Seine-et-Marne (SDIS 77), ni la SNSM


Le savoir-faire des Sauve­teurs en Mer reconnu et certi­fié

Les quali­fi­ca­tions dispen­sées par la SNSM à ses équi­pages béné­voles sont recon­nues comme de véri­tables forma­tions profes­sion­nelles et bien­tôt inscrites au Réper­toire natio­nal des certi­fi­ca­tions profes­sion­nelles (RNCP), permet­tant aux Sauve­teurs en Mer béné­voles de parti­ci­per aux forma­tions sur leur temps de travail avec accord de leur employeur, et contri­buant par ailleurs à déve­lop­per l’em­ploya­bi­lité au sein du secteur mari­time. En paral­lèle, l’agré­ment natio­nal de la SNSM concer­nant le secours aux personnes, le sauve­tage aqua­tique, les actions de soutien et d’ac­com­pa­gne­ment des popu­la­tions victimes d’ac­ci­dents ou de catas­trophes a été renou­velé pour trois ans – la durée maxi­mum – par arrêté du 3 novembre 2021 du minis­tère de l’In­té­rieur. S’y ajoute désor­mais, à la demande de la SNSM, l’en­ca­dre­ment de béné­voles dans le cadre des actions de soutien aux popu­la­tions.


Article rédigé par Domi­nique Malé­cot, diffusé dans le maga­zine Sauve­tage n°159 (1er trimestre 2022)