Les Sauveteurs en Mer au secours des cétacés

Une orque et un béluga ont été repé­rés dans la Seine à quelques semaines d’in­ter­valle. Plusieurs rorquals se sont échoués sur des plages françaises. Les péri­pé­ties de ces céta­cés en péril ont déclen­ché un vif inté­rêt auprès du public cet été. La SNSM est inter­ve­nue à plusieurs reprises pour tenter de les aider.

Un beluga qui sort de l'eau
L’animal perdu dans la Seine au mois d’août a dû être euthanasié © SNSM

Les passa­gers des bateaux prome­nade pari­siens ont sans doute scruté avec atten­tion les eaux de la Seine cet été. Avec l’es­poir de photo­gra­phier une orque ou un béluga, tant les tristes périples des deux mammi­fères marins égarés dans le fleuve, bien en aval de Paris, ont capté l’in­té­rêt du public. Et suscité celui des Sauve­teurs en Mer, à même d’être appe­lés à inter­ve­nir en pareilles circons­tances.

Première alerte le 17 mai, lorsque des remorqueurs du port du Havre croisent une orque dans la Seine, entre Tancar­ville et le pont de Norman­die. Elle est ensuite vue à plusieurs reprises, effec­tuant des allers-retours très média­ti­sés dans le fleuve qui l’ont menée jusqu’à Yain­ville – presque à mi-chemin de Rouen – avant d’être retrou­vée morte le 30 mai.

La nécrop­sie réali­sée le lende­main n’a pas permis d’éta­blir les causes du décès de cette femelle de 4,26 mètres de long et d’un poids de 1 100 kilos. Les scien­ti­fiques ont constaté qu’elle ne s’était pas alimen­tée récem­ment et ne présen­tait pas d’in­fec­tion. La balle retrou­vée par la suite dans sa chair n’avait pas entraîné de lésion et pouvait l’avoir atteinte quelques semaines ou plusieurs mois avant sa mort. Son sque­lette a enri­chi les collec­tions du Muséum natio­nal d’His­toire natu­relle, à Paris.

Forte mobi­li­sa­tion pour sauver un béluga

Nouvelle décou­verte le 2 août, lorsque la gendar­me­rie de l’Eure est infor­mée «  de la présence de deux dauphins en amont d’une écluse ». Véri­fi­ca­tion faite, il s’agit d’un béluga. La préfec­ture de l’Eure prend en main les opéra­tions pour obser­ver et suivre l’ani­mal, mobi­li­sant et coor­don­nant une bonne quin­zaine d’or­ga­nismes et asso­cia­tions, dont la SNSM. « Nous avons été solli­ci­tés le mardi 2 août par la préfec­ture de l’Eure pour indiquer nos possi­bi­li­tés d’in­ter­ven­tion et mettre un équi­page en alerte, raconte Patrick Janvier, président de la station SNSM de Poses (Eure). Le 3 août, vers 11 heures, nous avons mis notre semi-rigide à l’eau, ce qui nous a permis de trou­ver le béluga très rapi­de­ment et nous l’avons suivi jusqu’à 17 heures. Nous étions accom­pa­gnés de repré­sen­tants de l’État.  »

Le lende­main, les sauve­teurs de Poses étaient à nouveau sur l’eau à 11 heures « pour rejoindre l’écluse de Saint-Pierre-la-Garenne et tenter d’at­tra­per le béluga, pour­suit le président. Il y avait aussi deux bateaux des pompiers et un de la gendar­me­rie, mais nous n’avons pas réussi à l’at­teindre. » Les opéra­tions ont repris le 5 août, de 10 heures à 18 heures, mais le béluga était en fait rentré tout seul dans l’écluse ! Retour à la station pour la SNSM. « Cette opéra­tion nous a permis de nous faire connaître un peu plus du public et de travailler avec les pompiers », appré­cie Patrick Janvier.

Devant la dégra­da­tion de l’état de santé du béluga, l’op­tion de le guider vers la mer est aban­don­née et déci­sion est prise de captu­rer l’ani­mal de 4 mètres de long et pesant 800 kilos pour l’ache­mi­ner en camion jusqu’à Ouis­tre­ham (Calva­dos). Là, il pour­rait reprendre des forces dans l’eau salée d’une écluse. Son état s’étant aggravé en cours de route, les experts et les vété­ri­naires qui le suivaient se sont réso­lus à l’eu­tha­na­sier. La SNSM, qui devait appor­ter son concours au dispo­si­tif prévu à l’ar­ri­vée, n’aura pas eu à se dépla­cer.

Les sauveteurs de Poses sur un zodiac
Les sauve­teurs de Poses ont été mobi­li­sés pour suivre le béluga égaré dans la Seine © SNSM

Un rorqual sauvé à Trévi­gnon

Parfois, ce genre d’in­ter­ven­tion se termine bien. Le 6 mai dernier, la vedette de première classe SNS 127 Ar Beg de la station de Trévi­gnon - Concar­neau, est enga­gée pour remettre à l’eau un rorqual de 5 mètres échoué sur l’île de Penfret, dans l’ar­chi­pel des Glénan. « La mer descen­dait et nous n’avions pas beau­coup d’ex­pli­ca­tions. L’alerte venait d’une école de voile qui l’avait décou­vert », résume le président de la station, Fran­cis Vaxe­laire. Coor­di­na­teur du Réseau natio­nal échouages à La  Rochelle, l’ob­ser­va­toire des mammi­fères et oiseaux marins Pela­gis leur avait demandé de proté­ger l’ani­mal avec une bâche et de l’ar­ro­ser avec un seau. « Nous avons décidé d’uti­li­ser la moto­pompe de la vedette pour l’as­per­ger pendant les six  heures néces­saires avant que la mer ne remonte, pour­suit Fran­cis Vaxe­laire. Nous avons pu alors glis­ser des bâches sous le rorqual pour le remettre à l’eau sans le bles­ser. Il a repris ses esprits progres­si­ve­ment, puis est parti en direc­tion du large. »

Les bénévoles de la station de Trévignon mettant à l'eau un rorqual
En mai, les béné­voles de la station de Trévi­gnon – Concar­neau sont parve­nus à remettre à l’eau un rorqual de 5 mètres échoué sur une plage des Glénan © SNSM

Des cas inha­bi­tuels et inex­pliqués

Enfin, parfois, l’ani­mal semble déter­miné à s’échouer. Président de la station SNSM de l’île d’Yeu, Éric Taraud a vécu une expé­rience singu­lière le 31 octobre 2020. Solli­cité à la demande des pompiers pour remettre une baleine à l’eau, il constate qu’elle ne veut pas partir. « Nous avons passé un bout autour de façon à pouvoir la tirer sans lui faire mal », raconte-t-il. Lâchée en pleine eau, « elle est reve­nue en fonçant sur les rochers et s’est bles­sée sérieu­se­ment. Nous l’avons rame­née au large une deuxième fois, elle est partie et a coulé. Elle a été retrou­vée morte par un bateau de pêche quelques jours plus tard. Elle avait beau­coup maigri en raison d’un genre de cancer, nous ont dit des scien­ti­fiques. »

« Ces cas d’er­rance restent inha­bi­tuels et inex­pliqués, avec proba­ble­ment des raisons multiples, comme l’état de santé, l’âge, l’iso­le­ment social, les condi­tions envi­ron­ne­men­tales, indique l’ob­ser­va­toire Pela­gis. De nombreuses espèces de mammi­fères marins loin de leur habi­tat primaire ont déjà été signa­lées en France et notam­ment des espèces polaires, telles que le morse, le phoque du Groen­land, le phoque barbu ou la baleine franche du Groen­land. En 1948, un pêcheur de l’es­tuaire de la Loire avait remonté un béluga dans ses filets. » 

Pour sa part, Philippe Vale­toux, délé­gué de la SNSM pour la Seine-Mari­time, souligne que des baleines ont déjà été obser­vées en baie de Seine par le passé. Reste que les inter­ven­tions des sauve­teurs de la SNSM liées à de grands céta­cés sont excep­tion­nelles. Ils sont, en revanche, plus souvent appe­lés pour des dauphins ou des phoques, et, cette année, pour ramas­ser des oiseaux de mer morts de la grippe aviaire, confirme Philippe Auzou, délé­gué dépar­te­men­tal SNSM pour le Calva­dos.

Le mystère des attaques de voiliers par des orques 

Plus de cent bateaux de plai­sance ont été attaqués par des orques le long des côtes espa­gnoles entre 2020 et 2021.

La rencontre, le 8 août dernier, au débou­ché de la Manche, d’un voilier norvé­gien de 12 m avec cinq orques a fait le tour des médias. Malgré un gouver­nail partiel­le­ment détruit, le bateau a pu gagner Brest pour des répa­ra­tions. Cette « attaque » inter­roge les spécia­listes, dans la mesure où elle est inter­ve­nue dans une zone qui semblait jusqu’alors épar­gnée par ce phéno­mène. Certains avancent que les épau­lards pour­raient suivre des bancs de thons rouges, montés très au nord cette année. Selon Pela­gis – l’ob­ser­va­toire des mammi­fères et oiseaux marins de La Rochelle –, « depuis l’été 2020, des inter­ac­tions entre des orques et des bateaux, prin­ci­pa­le­ment des voiliers, ont été enre­gis­trées le long de la pénin­sule ibérique, de Gibral­tar à la Galice. » Il en recense plus de cent entre 2020 et 2021, et prévient que ce chiffre « conti­nue d’aug­men­ter ». C’est surtout la multi­pli­ca­tion de ces inci­dents, y compris envers des petits voiliers de la Mini Tran­sat, dont les orques n’ont rien à craindre, qui inter­roge. Car les naufrages provoqués par des céta­cés ne sont pas nouveaux. Le récit de celui du balei­nier Essex, en 1820, inspira Herman Melville pour l’écri­ture de Moby Dick, en 1850. Plus près de nous, en 1972, La Lucette, une goélette britan­nique en bois, fut attaquée par trois épau­lards et coula en une minute en plein Paci­fique. À bord d’un canot de survie, puis, quand il fut hors d’usage, de la petite annexe du bateau qu’ils avaient réussi à récu­pé­rer, Dougal Robert­son, son épouse, leurs trois enfants et leur passa­ger furent recueillis par un thonier japo­nais après trente-huit jours de navi­ga­tion. Comment réagir si des orques s’in­té­ressent de près à votre embar­ca­tion ? Si les condi­tions de mer le permettent, il est conseillé de couper le pilote auto­ma­tique, d’ar­rê­ter le moteur ou d’af­fa­ler les voiles, de ne pas toucher à la barre et d’at­tendre que les visi­teurs partent. Concrè­te­ment, lorsque des bateaux sont endom­ma­gés, les épau­lards viennent « au contact direct de ces navires en les pous­sant et donnant des chocs [qui] ont entraîné dans certains cas la rupture de gouver­nails et la frayeur des passa­gers », note Pela­gis.

Article rédigé par Domi­nique Malé­cot, diffusé dans le maga­­­zine Sauve­­­tage n°162 (4ème trimestre 2022)