Les sauveteurs, filet de sécurité des pêcheurs de coquilles

Durant l’hi­ver, les sauve­teurs des stations SNSM de Saint-Quay-Portrieux, d’Erquy et de Loguivy-de-la-Mer se relaient auprès des quelque deux cent trente chalu­tiers qui pêchent la coquille Saint-Jacques en baie de Saint-Brieuc. Une acti­vité à risque, qui néces­site une grande vigi­lance.

Pécheurs de coquilles
La pêche à la coquille n’est autorisée qu’à certains moments entre le 1er octobre et le 15 mai © Nicolas Job

C’est une de ces jour­nées de décembre où le ciel et la mer se confondent dans un gris uniforme. Un temps parfait pour pêcher la coquille Saint-Jacques. Il est 11 h 30 et il n’y a plus un seul bateau de pêche derrière les jetées de Saint-Quay-Portrieux, l’un des rares ports des Côtes-d’Ar­mor acces­sibles à toute heure de la marée. À la station SNSM, le président Didier Lebeau et le vice-président Hervé Duchesne finissent de débal­ler du maté­riel. En l’es­pace de dix minutes, l’équi­page de six béné­voles est au complet et en tenue de mer, bien vite rejoint par un sapeur-pompier infir­mier pour les épau­ler si besoin.

Nous descen­dons tous les huit sur le ponton de la vedette de première classe SNS 156 Sainte-Anne-du-Port et appa­reillons à 12 h 15, cap au nord-ouest, direc­tion le Grand Léjon. Ce banc de roches surmonté d’un grand phare rouge et blanc se trouve à l’en­trée de la baie de Saint-Brieuc. De cette posi­tion, la SNS 156 sera bien instal­lée pour inter­ve­nir très rapi­de­ment en cas d’ac­ci­dent sur l’un des quelque deux cent trente chalu­tiers dispo­sant de la licence obli­ga­toire pour pêcher la coquille Saint-Jacques dans la baie. Gérée depuis cinquante ans par le Comité des pêches des Côtes-d’Ar­mor, cette acti­vité, qui vient d’être label­li­sée « pêche durable » par le Fonds mondial pour la nature (WWF), est stric­te­ment régle­men­tée. Jours et temps de pêche, maté­riel, taille des coquilles, poids maxi­mum de la pêche auto­ri­sée… Chaque sortie est déter­mi­née par une étude annuelle de l’Ifre­mer. Tout est régle­menté, même les horaires de pesée. Sur les chalu­tiers venus d’Erquy, de Saint-Quay, du Légué, de Saint-Malo, de Paim­pol, de Loguivy-de-la-Mer, de Perros-Guir­rec ou encore, pour quelques-uns, de Bretagne sud, l’heure est aux dernières véri­fi­ca­tions. On inspecte les gros filins d’acier, les poulies et les treuils qui relient les bateaux aux deux dragues qu’il est permis d’em­barquer. Ce sont de lourds râteaux en acier de 2 mètres de large, dotés d’une poche en gros filet d’acier desti­née à recueillir les coquilles Saint-Jacques. Ils seront tirés sur le fond à quatre ou cinq reprises pendant les quarante-cinq minutes d’ou­ver­ture de la pêche, fixée en fonc­tion de la marée, aujour­d’hui à 12 h 45.

Un véri­table sprint pour les pêcheurs. Dans ces condi­tions, une seconde d’in­at­ten­tion ou un bris de maté­riel provoque vite un acci­dent, même s’ils sont moins nombreux qu’au­tre­fois, les bateaux étant plus solides, mieux entre­te­nus et les pêcheurs mieux formés. Mais le risque est réel. Aussi, le Comité des pêches fait-il appel à la SNSM pour renfor­cer la sécu­rité sur la zone en anti­ci­pant le posi­tion­ne­ment de moyens de secours près des embar­ca­tions. D’oc­tobre à avril, le temps que dure la campagne coquillière, les stations de Saint-Quay, d’Erquy et de Loguivy-de-la-Mer se relaient chaque semaine auprès des chalu­tiers. Trois sorties hebdo­ma­daires jusqu’à Noël, puis deux à partir de janvier. Une mission supplé­men­taire est prévue lorsque plus de cent bateaux sont auto­ri­sés à effec­tuer une pêche de « rattra­page » pour compen­ser une sortie annu­lée, notam­ment en raison de la météo.

Du petit doigt écrasé au bateau qui coule

« Nous sommes béné­voles et ne sommes donc pas rému­né­rés pour ces opéra­tions, mais le Comité des pêches nous rembourse les frais de carbu­rant, précise Hervé Duchesne. Il y a des acci­dents de temps à autre, plus ou moins graves. Cela va du petit doigt écrasé au choc de poulie sur la tête. Parfois même un homme à la mer, des abor­dages ou un bateau qui coule. » La présence à bord du sapeur-pompier infir­mier est donc parti­cu­liè­re­ment appré­ciée par l’équi­page. Ces inter­ven­tions peuvent être très déli­cates.

Un matelot entraîné 6 mètres sous l’eau

Heureu­se­ment qu’ils étaient sur place. Les béné­voles de la station SNSM d’Erquy (Côtes-d’Ar­mor) ont porté assis­tance à un pêcheur tombé à l’eau en pleine pêche à la coquille, le 13 février dernier en baie de Saint-Brieuc. Le gilet de sauve­tage du mate­lot s’est pris dans la drague qu’il mettait à la mer. « Il a été attiré à six ou sept mètres de profon­deur, précise Jean Rouxel, président de la station d’Erquy. Il a eu le réflexe de se rattra­per à un câble.  » L’homme de 38 ans est parvenu à remon­ter sur l’em­bar­ca­tion de lui-même. Il était en hypo­ther­mie lorsque les cano­tiers l’ont pris en charge. Un infir­mier pompier, présent avec les béné­voles, s’est chargé de dispen­ser les premiers secours. La victime a ensuite été rame­née à terre puis trans­fé­rée au centre hospi­ta­lier de Saint-Brieuc.

Bateau lors de la pêche à la coquille
Le temps de pêche à la coquille étant limité, les bateaux vont le plus vite possible © Domi­nique Malé­cot
Cet automne, un chalutier a été victime d’une croche, sa drague s’est engagée dans quelque chose. Impossible de le tirer de là avec les moyens du bord ni d’évacuer l’équipage avec des creux de 2,5 à 3 mètres. Nous avons fait appel à l’hélicoptère de Granville, le Dragon 50, qui a pu hélitreuiller les pêcheurs malgré les conditions difficiles. Le bateau est resté mouillé par l’arrière sur sa drague et a pu être dégagé le lendemain.
Vice-président de la station de Saint-Quay-Portrieux

La présence des Sauve­teurs en Mer sur le plan d’eau n’émousse ni la vigi­lance ni la soli­da­rité des pêcheurs. Ainsi, fin 2021, c’est un chalu­tier qui a récu­péré trois marins réfu­giés sur la coque de leur bateau retourné devant le cap Fréhel, avant d’être pris en charge par les béné­voles de Saint-Cast-le-Guildo. En décembre dernier, c’est encore un chalu­tier qui a remorqué un bateau de pêche victime d’une impor­tante voie d’eau, qui aura, néan­moins, fini par couler.

C’est rassurant de les savoir sur place

Julien Trého­rel, patron de L’In­tré­pide

« Des petites fortunes de mer, cela peut arri­ver tout le temps. Mais, à la pêche à la coquille, les bateaux sur zone sont très nombreux et, par rapport aux autres pêches, on est très solli­ci­tés sur un temps très court, explique Julien Trého­rel. Les acci­dents peuvent se produire plus vite.  »

Voilà pourquoi le patron de L’Intré­pide, basé à Erquy, se sent rassuré d’avoir les Sauve­teurs en Mer en soutien. « La SNSM, c’est forcé­ment une aide, un plus de les avoir à nos côtés. On espère ne pas en avoir besoin, mais on sait qu’ils sont là  », appré­cie, elle aussi, Typhaine Blan­chet, épouse et mère de pêcheur. L’en­tre­prise fami­liale exploite trois chalu­tiers, le Nazado, l’Ar Avel-Dro et l’Ar Gwas­ter. « Les sauve­teurs peuvent inter­ve­nir rapi­de­ment en cas de besoin, pour­suit-elle. D’au­tant que les bateaux sont très proches les uns des autres et qu’il faut aller vite, car le temps de pêche est limité.  »

Article rédigé par Domi­nique Malé­cot, diffusé dans le maga­­­­­­zine Sauve­­­­­­tage n°163 (1er trimestre 2023)