Un marin pêcheur de 22 ans secouru par les sauveteurs de Boulogne-sur-Mer

Fortune, infor­tune. En mer, Benoît Duval, marin pêcheur de 22 ans, aura connu les deux en à peine 60 minutes : sa vie sauve au prix d’un dur combat dans une Manche à 9° et le naufrage de son gagne-pain, suite au crochage d’un casier en relève.

« Tout va bien, je suis là », résume Benoît Duval, patron soli­taire de L’entre deux caps – flobart de la Côte d’Opale. Un résumé tout en rete­nue après une aven­ture risquée entre fortune et infor­tune. Dimanche 11 décembre, il est en pêche sur son bateau de 4,95 mètres de long.

Benoît Duval à bord de son flobart: © Anne Sophie Flament

 

Un casier croché

Passé 14 h 30, Benoît relève ses casiers. Une tâche pénible qu’un treuil faci­li­te… ou parfois complique ; et c’est le cas aujour­d’hui par une mer de force 3 et un vent d’ouest tout aussi raison­nable. Au large du Cap Gris-Nez, un dernier casier a choisi de crocher. Seul à bord, Benoît doit déci­der en une poignée de secondes si cet ultime casier obéira aux solli­ci­ta­tions de la machine ou les vain­cra. Sur le treuil, l’orin du casier patine puis prend. « Alors, sous l’ef­fet de levier, racon­tera Benoît, le bateau s’est cabré ». Se dépla­cer rapi­de­ment pour étouf­fer le treuil devient une gageure. Les fonds du bateau sont abrupts et glis­sants. Trop tard. L’eau enva­hit déjà le bord. Le bateau se retourne et coule par l’avant. Benoît passe à la mer mais parvient à se hisser sur la coque quille en l’air. Appe­ler les secours. « Mes réflexes sont allés à Mélissa, ma compagne ». Elle tient une aubette où ils écoulent sa pêche.

 

« Je coule, appelle le CROSS »

Capelé dans son gilet de sauve­tage, le naufragé dégaine son portable étanche et clique le numéro de Mélissa. Pas de mots tendres ; juste l’es­sen­tiel : « je coule. Appelle le CROSS ». Pas de préci­sion non plus mais Mélissa sait bien dans quelle zone pêche son homme. Sur le 196, elle contacte le CROSS Gris-Nez. Il est 14 h 37.

Le CROSS engage aussi­tôt d’im­por­tants moyens de secours. Pour la vie d’un seul, bien d’autres hommes sont mobi­li­sés. Ceux de l’équi­page du Guépard Whisky, un héli­co­ptère Dauphin de la Marine natio­nale basé au Touquet. Ceux du Xenon C, un Falcon 50 de l’aé­ro­na­vale déjà en patrouille au-dessus de la Manche. Ceux aussi de la DF 37 Nordet, une vedette des Douanes basée à Boulogne-sur-Mer. Ceux enfin de la SNS 076 Président Jacques Huret de la station SNSM du même port – une station qui peut s’en­or­gueillir d’un très long passé au secours des naufra­gés : doyenne des 218 stations SNSM, elle a été orga­ni­sée dès 1825.

Rongée d’inquié­tude, Mélissa a assez de sang-froid pour ajou­ter un atout à ce dispo­si­tif. Son joker : Axel Baheu, patron de L’Infa­ti­gable, une embar­ca­tion rapide. Ami fiable, Axel a tôt fait de mettre le cap sur la zone de pêche la plus souvent fréquen­tée par Benoît à envi­ron 0,8 mille dans l’ouest de la pointe du Nid du Corbet. A 15 h 34, Axel repère des espars en dérive dont quelques cordages. C’est tout ce qui reste du fier Entre deux caps. De Benoît, rien. Le CROSS est averti. Sur cette infor­ma­tion précise donnée par Axel, le dispo­si­tif de recherche se recale. Et avec lui, le cap de la SNS 076.

 

Une eau glaciale

Dans cette eau noire à 9°, Benoit patauge entre creux et crêtes. « J’ai très vite perdu mon portable, préci­sera-t-il. Puis mes cuis­sardes remplies d’eau me tiraient vers le fond. Il fallait abso­lu­ment que je m’en débar­rasse ». « Dans la manœuvre, j’ai perdu mon gilet de sauve­tage ». Fautes d’ap­pa­raux à proxi­mité sur lesquels prendre appui, Benoit a la présence d’es­prit de créer une poche d’air avec son ciré. Ce sera sa bouée de fortune mais une bouée salva­trice. Autre initia­tive heureuse : « j’ai fait du retro péda­lage pour lutter contre l’en­gour­dis­se­ment du froid »

 

Sauvé in extre­mis

Parvenu à 200 mètres de L’Infa­ti­gable, les 6 cano­tiers béné­voles de la SNSM montant le Président Jacques Huret tiennent enfin un visuel sur Benoît. D’une manœuvre souple menée par le patron Guillaume Gatoux, la longue coque verte et orange de la SNS 076 construite en 1992 se place à hauteur du naufragé. Des bras puis­sants ont tôt fait de le hisser. Buvant la tasse, il est bleu de froid, bras et jambes déjà para­ly­sés. « C’était moins une pour lui », dira le patron. Peu d’in­di­vidu réus­sissent à tenir aussi long­temps dans une eau aussi froide. Benoît a fait mentir des statis­tiques cruelles grâce à son mental et à sa forme physique, celle d’un jeune pompier volon­taire quand il n’est pas à la mer. « Son hypo­ther­mie était suffi­sam­ment avan­cée, souli­gnera le patron Guillaume Gatoux, pour que s’or­ga­nise une confé­rence avec le SCMM (centre de secours mari­time) du Havre ». Avec à peine 20 minutes de mer pour rejoindre Boulogne, l’op­tion d’une déli­cate évacua­tion par héli­treuillage est écar­tée. C’est donc une « momie » embal­lée de couver­tures que les cano­tiers confient à quai à une ambu­lance des pompiers. Mais une momie vivante. Benoît a la vie sauve, sans séquelles, mais son bateau perdu. Avec lui son gagne-pain et celui de Melissa. Fortune, infor­tune. Repar­tira-t-il en mer ? « Oui, il le faut bien ».

Mélissa Decorde et Benoît Duval: La Voix du Nord © Guy Drol­let

 

Nos béné­voles sont entraî­nés et équi­pés pour effec­tuer ce type de sauve­tage. Grâce à votre soutien, vous les aidez à être présents la prochaine fois !

 

Article de Patrick Moreau, paru dans le Maga­zine Sauve­tage n° 139 (1er trimestre 2017).

 

Si vous aussi vous avez été touché par son histoire, vous pouvez le soute­nir par ici

 

Équi­page de la SNS 076

Patron : Guillaume Gatoux

Méca­ni­cien : Arnaud Dumont

Radio : Didier Poni­ter

Cano­tiers : Michel Pochet, Thomas Pontier, Olivier Specque