Michel Zambrano : "pilote de ligne"

Entré à la SNSM en 1975, Président de la station de Sète depuis 1987, Michel Zambrano n’a pas oublié ses douze années passées sur le Maré­chal Joffre, sister-ship de l’Ai­mée Hilda. Souve­nirs, souve­nirs…

« Ils sont cinq à courir ainsi dans la nuit et arrivent en même temps à l’abri. Le canot les y attend, lui aussi la sirène l’a réveillé. Chacun à son poste, le patron crie  »largue" au treuilliste et le canot glisse sur ses rails. Son étrave dans un feule­ment frangé d’écume a péné­tré l’eau du vieux bassin. Aussi­tôt les moteurs se sont mis en route, chacun est à son poste. Par radio, le guet­teur du séma­phore annonce un appel de détresse dans le 150. Serrés les uns contre les autres, les visages blafards sont encore bouf­fis de sommeil, à peine éclai­rés par le pâle halo de la veilleuse du compas."

Ces quelques phrases extraites de son recueil de textes Embruns de vie* sont de Michel Zambrano, président de la station SNSM de Sète depuis vingt-huit ans. Il les a écrites avec ses mots, lais­sant parler son cœur, sa façon à lui de témoi­gner de ses premières années passées à bord du canot tous temps Maré­chal Joffre. Le S 12, construit comme l’Aimée Hilda par le chan­tier Jouët, lancé en 1939 mais livré après la guerre, en 1948.

Bouée de sauve­tage

C’est à bord de ce canot de 11,50 mètres, iden­tique à celui de Plou­ma­nac’h, que Michel fait ses premières armes de sauve­teur sous le comman­de­ment du patron, Louis Vellar­doc­chia. Nous sommes en 1975. À cette époque, l’alerte est donnée, de jour comme de nuit, par les cinq coups longs de la sirène du séma­phore du Mont Saint-Clair. Si les moteurs d’ori­gine du Joffre, deux Baudouin DB2 à démar­rage à air, ont cédé leur place aux deux Renault Marine Couach de 80 CV, sa mise à l’eau se fait toujours à l’aide de rails et d’un treuil qui propulsent en quelques secondes le canot à la mer, là où sont désor­mais implan­tés les premiers pontons du port de plai­sance.


Aujour­d’hui, l’an­cien abri situé sous la jetée du Môle Saint-Louis, fait office de sani­taires. Mais Michel a tenu à me montrer les deux petits tronçons de rails qui reposent sur le fond du port. Tout comme il a voulu me réser­ver une bonne surprise dans les locaux de la SNSM, avec la maquette au 1/30e du Maré­chal Joffre, minu­tieu­se­ment réali­sée par Jacques Broto­deau, un Offi­cier méca­ni­cien origi­naire des Sables d’Olonne. En poin­tant son doigt, il m’a dési­gné l’en­droit où en tant que radio du bord, il se tenait durant les inter­ven­tions. Dans le cock­pit arrière, à l’en­trée du rouf, la meilleure place pour surveiller le sondeur à bandes, la radio gonio, le Radar Decca et écou­ter les commu­ni­ca­tions de la VHF.


« À six, il fallait se serrer, m’a-t-il précisé, mais nous n’étions pas les plus mal lotis. Ce sont les deux équi­piers logés dans le cock­pit avant qui en prenaient plein les yeux. C’est là qu’était stockée la remorque de 600 mètres qu’il fallait sortir, dérou­ler sur le passa­vant pour enfin la frap­per sur les deux bittes arrière ».

Le SNS 062 « Patron Marius Oliveri » de la station de Sète

Et puis, comme s’il tenait à replon­ger dans ses souve­nirs, Michel s’est levé. S’est dirigé vers l’ar­moire aux archives pour en extraire le clas­seur de l’an­née 1984, là où il a consi­gné – rapport oblige – la pire de ses inter­ven­tions sur le Maré­chal Joffre, celle du 14 mars 1984. Motif de la sortie : porter secours à une goélette en acier de 13,80 mètres, Brin d’île, en avarie de gouver­nail dans le sud de Sète. Les condi­tions de temps sont très mauvaises, force 8 à 9, grosse mer. Il faut même faire appel à un héli­co­ptère, une Alouette II, pour repé­rer le voilier en perdi­tion. Passer la remorque tient du miracle. De plus, en voulant affa­ler la voile d’avant, l’un des équi­piers du voilier passe par-dessus bord avant d’être récu­péré. « Ce jour-là, raconte Michel, couchés à deux reprises, nous avons même dû filer de l’huile par les dalots pour fran­chir la passe est du port du Commerce.  N’em­pêche, ajoute-t-il. Avec son cul norvé­gien, par mer de l’ar­rière, le  »Maré­chal Joffre" n’en­four­nait jamais. C’était un sacré canot même si par gros temps c’était eaux courantes à tous les étages". Tradui­sez, on était submer­gés par les vagues. Certains auraient jeté l’éponge, passé le relais aux petits jeunes. Pas Michel, qui après douze années passées sur le Maré­chal Joffre, rempile toujours comme radio sur le canot tous temps Patron Marius Oliveri, arrivé à la station de Sète en 1987.


À soixante-neuf ans Michel a fait du sauve­tage sa seconde famille. Chaque jour, ce fils et petit-fils de sétois, amou­reux des phares, ne manque jamais une occa­sion de se rendre à la station. Une fois par mois, il est de toutes les sorties d’en­traî­ne­ment, de toutes les corvées. Non sans humour, il se défi­nit comme un « Pilote de ligne », pilote de sa canne à pêche qu’il aime utili­ser du côté de l’Île de Sein avec une autre grande figure du sauve­tage en mer, François Spinec. De fait, comme sur l’Île, Sète devrait rece­voir fin 2017 le dernier modèle de canot, prétexte pour Michel d’écrire d’autres belles histoires.


Portrait rédigé par Bernard Rubin­stein, Sauve­tage Maga­zine n°134 (4ème trimestre 2015)


* Michel Zambrano a écrit Embruns de vie, un petit recueil de 33 pages illus­tré par Pierre Lesc, vendu 10 € au profit de la SNSM. Préfacé par Marie-Hélène Leclercq, prési­dente de la Société nautique de Sète, il rappelle que « le sauve­tage se partage, comme le pain ».