Les navires de demain se dessinent aujourd'hui

Magie des images, les futurs bateaux des Sauve­teurs en Mer prennent forme. Les idées sont deve­nues des esquisses, après un intense travail en commun entre les archi­tectes et ceux qui utili­se­ront les bateaux. 

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© Barreau-Neuman Achitectes Navals

Les images que vous allez voir ne sont que des esquisses de la future flotte de la SNSM. Avant que les premiers navires ne sortent du chan­tier, d’ici fin 2020 si tout va bien, les plans vont être affi­nés en liai­son avec ceux qui vont être choi­sis pour les construire. L’équipe qui a dessiné ces esquisses, emme­née par l’ar­chi­tecte Frédé­ric Neuman, était char­gée de redé­fi­nir une gamme cohé­rente de bateaux, du plus grand au plus petit, ainsi que leurs carac­té­ris­tiques géné­rales et leurs grandes lignes.

Un bateau est toujours un compro­mis entre un grand nombre d’at­tentes et de contraintes. Avant de choi­sir les archi­tectes, la SNSM avait conduit un long travail de  réflexion, en équipe, pour mettre noir sur blanc ses exigences : remplir au mieux la mission – sauver des vies sans mettre en danger l’équi­page –, et dépen­ser ce qui est stric­te­ment néces­saire, mais pas plus (si on peut faire avec un bateau de 10 mètres, il ne faut surtout pas inves­tir dans un bateau de 15 mètres).

Le désor­mais célèbre et quelque peu mysté­rieux GT5 (groupe de travail numéro 5) ne s’est pas arrêté après avoir écrit le cahier des charges. Il a accom­pa­gné toute la démarche des archi­tectes qui sont venus six fois travailler pendant un ou deux jours avec tous ces repré­sen­tants des futurs utili­sa­teurs. Nous avons pu assis­ter à la dernière de ces rencontres.

Orange ou jaune ?

Au cours de ces six mois, beau­coup d’idées ont été rete­nues et affi­nées en commun. Certaines exigences ont été préci­sées. Certaines idées bien que promet­teuses n’ont pu être vali­dées. Par exemple, des moteurs élec­triques auraient été plus légers à mani­pu­ler pour les annexes. Mais ils ne sont pas assez puis­sants pour le moment.

Certains choix soulèvent beau­coup plus de ques­tions qu’on ne pour­rait l’ima­gi­ner. Jaunes ou pas jaunes, les futurs bateaux ?

Pour Didier Moreau, direc­teur du pôle de forma­tion de Saint-Nazaire, de jour, par « mer blanche » (quand le vent soulève beau­coup d’écume) on voit beau­coup mieux l’orange (couleur actuelle des super­struc­tures) que le jaune. Gérard Rivoal, chef du service soutien tech­nique et logis­tique et chef d’or­chestre de toutes ces réflexions, fait valoir quant à lui que les services d’ur­gence évoluent plutôt vers le jaune et même plus préci­sé­ment vers le RAL 1016, retenu par un comité de norma­li­sa­tion euro­péen comme la couleur à laquelle réagit le plus l’œil humain. Elle s’avère égale­ment moins sensible aux UV et donc plus écono­mique à l’usage.

Les Sauve­teurs en Mer doivent aussi valo­ri­ser leur image auprès du public. Peut-on avoir deux couleurs selon l’âge des bateaux, ou peut-on repeindre toute la flotte en jaune ? Cette dernière consi­dé­ra­tion l’em­por­tera sans doute. Le Président, Xavier de la Gorce, est quant à lui favo­rable à l’oran­ge…

Une gamme de navires cohé­rente

C’est une des ambi­tions impor­tantes du programme de réflexion et d’études des Sauve­teurs en Mer sur leur flotte future : avoir une gamme cohé­rente et simpli­fiée – pas de modèles trop voisins, pas de doublons. Selon la situa­tion, le CROSS, qui centra­lise les alertes et l’or­ga­ni­sa­tion du sauve­tage, fera appel au grand navire de la station « X » ou au petit semi-rigide rapide de la station « Y » proche. Parfois aux deux parce qu’ils sont complé­men­taires.

L’ac­tuelle « gamme », très hété­ro­gène, héri­tée de l’his­toire des trente dernières années, va des grands canots tous temps jusqu’aux VNM (scoo­ter des mers) en passant par les vedettes de première classe, de deuxième classe, elles-mêmes de diverses tailles, etc. En tout presque une ving­taine de modèles diffé­rents. Dans la future flotte, il y aura deux familles. Celle des navires de sauve­tage hautu­riers (NHS) corres­pond aux plus grands. Ils doivent pouvoir rester en haute mer dans des condi­tions météo­ro­lo­giques très dégra­dées malgré leurs faibles dimen­sions. Ils seront évidem­ment insub­mer­sibles et auto­re­dres­sables, comme leurs prédé­ces­seurs, au cas où une
vague les couche­rait ou les retour­ne­rait. Ils doivent pouvoir aller jusqu’à 20 milles des côtes, excep­tion­nel­le­ment 50 milles, sans se lais­ser trop ralen­tir par les grosses mers. D’après leurs calculs en bassin de carène numé­rique, les archi­tectes espèrent qu’ils pour­ront encore marcher à plus de 15 nœuds par mer 7 avec des vagues de 6 à 9 mètres ! Pour cela les plus grands NSH1 auront besoin de deux moteurs de plus de 700 ch et de deux réser­voirs de 1 700 litres. Commence ensuite la flotte des navires de sauve­tage côtier (NSC). Plus petits que les NSH, plus rapides aussi par temps maniable (30 à 35 nœuds), ils iront moins loin. Mais ils sont tout aussi indis­pen­sables que les autres, car une grande partie des inter­ven­tions de sauve­tage ont lieu par temps maniable et près des côtes. De plus, ils peuvent se loger dans des ports et abris où des navires hautu­riers ne trou­ve­raient pas leur place. Le NSC1, de près de 12 mètres hors tout, est un vrai petit navire de sauve­tage avec une timo­ne­rie permet­tant d’abri­ter sauve­teurs et naufra­gés, qui ira plus vite que les gros par beau temps, jusqu’à 30 nœuds.

Le NSC2, avec timo­ne­rie modu­lable (comme sur l’image) ou sans timo­ne­rie, sera plus long que les plus grands semi-rigides actuels, pour aller jusqu’à une dizaine de milles au large. Boudins dégon­flés, il sera déplaçable d’une station à l’autre par remorque routière simple, en fonc­tion des besoins saison­niers par exemple. Ne figu­rant pas sur l’image ci-dessous, le NSC3 est un semi-rigide d’en­vi­ron 6 mètres « proje­table », c’est-à-dire qu’une remorque atte­lée à un 4 X 4 peut le mettre à l’eau sur une cale, une plage ou toute autre zone non aména­gée proche de la zone de sauve­tage. Le NSC4, plutôt destiné aux postes de plage, devrait idéa­le­ment pouvoir remplir les missions des VNM (scoo­ters des mers) et des petits IRB, pneu­ma­tiques légers à deux équi­piers, faciles à trans­por­ter et qui passent dans les brisants. Pas sûr que ce mouton à cinq pattes existe à un prix raison­na­ble…

Le numéro d’iden­ti­fi­ca­tion figu­rant sur les coques des esquisses est fantai­siste. C’est le millé­sime 2017, début des études d’ar­chi­tec­ture. Dans la flotte actuelle, l’iden­ti­fiant des canots tous temps commence par 0, celui des vedettes de première classe par un, et ainsi de suite… Pour l’ave­nir, Gérard Rivoal préfé­re­rait qu’on reparte sur une numé­ro­ta­tion diffé­rente pour éviter la confu­sion avec les navires actuels.

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L’écope au ras de l’eau et la plage arrière bien déga­gée sont les éléments clé du concept. ©Barreau-Neuman Archi­tectes Navals

Pourquoi ces nouvelles lignes ?

La silhouette des nouveaux bateaux des Sauve­teurs en Mer (ci-dessus le NSH1) change. Ce n’est pas pour faire joli ni pour être à la mode, mais pour qu’ils soient encore plus effi­caces, en tenant compte de l’ex­pé­rience accu­mu­lée avec les géné­ra­tions de bateaux précé­dentes. Et pour que la sécu­rité des sauve­teurs et des personnes secou­rues soit encore amélio­rée. C’est l’objec­tif premier.

Carac­té­ris­tique essen­tielle, la « plage arrière », autre­ment dit la partie arrière du pont, est vaste, déga­gée de super­struc­tures autant que possible et nette­ment plus basse sur l’eau que l’avant et que celle des canots actuels (1 mètre au-dessus de l’eau). C’est un endroit stra­té­gique. Doivent s’y dérou­ler commo­dé­ment, sans obstacle, le plus à l’abri possible de la mer et du vent, les récu­pé­ra­tions et mani­pu­la­tions de victimes, notam­ment celles qui sont allon­gées sur une civière (ou « plan dur » ou « barquette »), mais aussi les héli­treuillages et les manœuvres néces­saires au remorquage des bateaux en détresse. Les deux super­struc­tures grises qui demeurent sur les côtés corres­pondent à l’aé­ra­tion de la cale moteur, plus des range­ments.

nouvelle flotte de la snsm
Les quatre plus gros navire de la nouvelle gamme qui n’en compor­tera que six au total. ©Barreau-Neuman Achi­tectes Navals

On ne voit plus de potences comme celles qui permettent de gruter hors de l’eau victimes ou civières sur certaines des embar­ca­tions actuelles. À l’usage, la plupart des sauveurs n’en sont pas satis­faits et estiment qu’elles deviennent dange­reuses au-delà de mer 2. À la place a été retenu un système inno­vant inspiré des nouveaux bateaux des sauve­teurs néer­lan­dais. C’est « l’écope », cette grande marche, bascu­lée au ras de l’eau, sur laquelle on voit, allon­gée, une victime qui n’est pas en état de monter seule à bord du navire. Les deux nageurs de bord (ou plon­geurs) qui l’ont récu­pé­rée vont pouvoir se servir aussi de l’écope pour remon­ter eux-mêmes à bord. Les cano­tiers restés à bord vont pouvoir atteindre la victime sur l’écope (qui remon­tera avec des vérins) et la passer sur la plage arrière, sans quit­ter la sécu­rité offerte par le navire. Quand le navire se déplace, l’écope en caille­bo­tis est bascu­lée en posi­tion verti­cale et inter­dit ainsi à un équi­pier de glis­ser à la mer sans empê­cher l’eau de s’écou­ler, s’il y en a sur le pont.

La timo­ne­rie est l’abri fermé et vitré où se tient, entre autres, le « timo­nier », c’est-à-dire le barreur qui conduit l’em­bar­ca­tion, mais où s’abritent aussi sauve­teurs et victimes pendant les trajets. Elle a été avan­cée au maxi­mum pour déga­ger l’ar­rière. C’est une des raisons pour lesquelles on revient au pare-brise « inversé ». Cette timo­ne­rie doit être assez volu­mi­neuse pour accueillir tout le monde, mais aussi pour assu­rer que le navire se redresse s’il est couché ou retourné. Elle devient dans ces cas-là un volume de flot­ta­bi­lité ! Les curieuses arêtes que l’on aperçoit sur les côtés ou sur le toit ne sont pas des rémi­nis­cences de design auto­mo­bile. Elles sont desti­nées à augmen­ter ce volume. Le pont étant plus bas sur l’eau, il est protégé des vagues par des « pavois » pleins (qui prolongent la coque au-dessus du pont) alors que dans les géné­ra­tions de canots précé­dentes les ponts, plus hauts sur l’eau, sont seule­ment entou­rés d’un système de mains courantes pour préve­nir les chutes à la mer. On voit aussi sur ces repro­duc­tions que les coques seront beau­coup plus défen­dues sur les côtés et à l’avant par d’épais boudins, défenses ou « bour­lingues » qui amor­tissent les chocs, notam­ment quand les navires de sauve­tage doivent accos­ter un autre bateau dans la houle pour débarquer des secours ou embarquer des naufra­gés.

Sous l’eau, « la carène » est un compro­mis plutôt clas­sique, tirant parti des ensei­gne­ments des vedettes de la classe Shan­non de la RNLI (les sauve­teurs en mer britan­niques).

Un inté­rieur bien rempli

La timo­ne­rie posée sur le pont est le lieu de vie prin­ci­pal de l’équi­page et des personnes secou­rues. Modu­lable, elle permet d’ac­cueillir dans la partie arrière des personnes allon­gées. Vitrée de tous côtés elle assure une grande visi­bi­lité au barreur, au patron et au navi­ga­teur radio posi­tion­nés à l’avant. L’équi­page descend dans le poste avant surtout pour se chan­ger et s’équi­per. On aperçoit le placard à cirés mouillés entre le poste et le puits à chaîne du mouillage. Excep­tion­nel­le­ment, les couchettes permettent un moment de repos en cas de longue inter­ven­tion, voire d’as­seoir ou d’al­lon­ger de trop nombreux naufra­gés.

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Un canot tous temps plus ancien : pont plus haut sur l’eau, pas de pavois, potence de treuillage. ©SNSM

Sous la plage arrière, sous des panneaux qui peuvent s’ou­vrir, on aperçoit le loge­ment de l’an­nexe pneu­ma­tique qui, une fois complè­te­ment gonflée et équi­pée de son moteur, peut glis­ser direc­te­ment à l’eau. Sous la timo­ne­rie, le compar­ti­ment moteur, jamais assez grand au goût des méca­nos qui sont obli­gés de se contor­sion­ner pour inter­ve­nir. Les réser­voirs (en rouge) sont au milieu du bateau pour centrer les poids, les « baies » élec­triques et élec­tro­niques sont en bleu, le plus acces­sibles possible en cas de panne, d’alarme ou de chan­ge­ment de compo­sant.

Les toilettes sont masquées par l’es­ca­lier, mais elles sont là et on espère qu’elles ne seront plus trans­for­mées en placard à cirés – prévus désor­mais dans le plan de base – ou en espace de stockage, alors que les femmes deviennent de plus en plus nombreuses parmi les équi­pages.

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Coupe du NSH1. ©Barreau-Neuman Achi­tectes Navals

Les diffé­rents compar­ti­ments sont sépa­rés par des cloi­sons étanches qui doivent permettre au bateau de conti­nuer à flot­ter même si deux compar­ti­ments conti­gus sont enva­his par l’eau. Ceci permet d’aban­don­ner le doublage des coques en mousse qui faisait perdre beau­coup de place à l’in­té­rieur, notam­ment dans les compar­ti­ments moteurs.

Des bateaux conçus en commun

À priori, la situa­tion semble ingé­rable, ce 13 mars. Une ving­taine de membres du groupe de travail numéro 5 s’en­tassent joyeu­se­ment dans la petite salle de réunion du siège natio­nal de la SNSM pour discu­ter passion­né­ment, pour la sixième et dernière fois, des esquisses de la future flotte avec les archi­tectes qui les ont conçues : Frédé­ric Neuman et Chris­tophe Barreau, épau­lés par l’in­gé­nieure Lauranne Maison­neuve, ainsi que par le cabi­net d’en­gi­nee­ring ARCO marine. Miracle de la tech­no­lo­gie, deux grands écrans permettent à tout le monde de voir les plans dont on parle. Les archi­tectes peuvent, à partir de leur ordi­na­teur, sélec­tion­ner un des modèles de la gamme repré­sen­tés en trois dimen­sions, le faire tour­ner pour que tout le monde voie bien l’en­droit dont il est ques­tion, voire modi­fier une carac­té­ris­tique en direct. Où va-t-on ranger les moto­pompes, et les cirés, et le maté­riel médi­cal, et celui des plon­geurs, et les civières, etc. ? Etc. ? Miracle du leader­ship, Gérard Rivoal, qui anime toutes ces réflexions depuis le début, arrive, sans jamais élever la voix, à ce que tout le monde s’écoute, ou presque, et à ce que la réunion ne dégé­nère pas trop en de multiples apar­tés.

Le groupe de travail numéro 5 rassemble des repré­sen­tants des stations qui vont être utili­sa­trices des grands navires et des nageurs sauve­teurs qui embarque­ront sur les plus petits, de la direc­tion­tech­nique et de son Pôle de soutien de la flotte installé à Saint-Malo qui vont les comman­der et les entre­te­nir, du Pôle natio­nal de forma­tion de
Saint-Nazaire et des repré­sen­tants des centres de forma­tion et d’in­ter­ven­tion (CFI) qui forment les futurs sauve­teurs. On retrouve quelques piliers du groupe : Yves Prigent, patron à l’Aber Wrac’h ; Yoan Sanson, patron de Goury ; Hubert Jair, président de La Turballe ; Yves Gennequin, président hono­raire du Lavan­dou-Bormes ; Joël
Congal, président des Sables-d’Olonne ; Yves Thomas, ancien patron de Saint-Malo. D’autres y sont passés ou arri­vés plus récem­ment. Tous ont été encou­ra­gés à expliquer le projet dans d’autres stations et CFI, et à faire remon­ter les remarques. Bien qu’on en soit à la dernière réunion et que l’es­sen­tiel des déci­sions ait été pris, on ne peut s’em­pê­cher de reve­nir sur certains points, comme dans tous les groupes de ce genre.

Le pont des nouveaux navires sera plus bas, surtout à l’ar­rière, pour faci­li­ter mises à l’eau, remon­tées à bord et récu­pé­ra­tion des victimes. C’est le cœur du nouveau concept. On en attend beau­coup. Mais du coup les pavois rendus néces­saires pour proté­ger l’équi­page contre les vagues ne vont-ils pas empê­cher l’eau de s’écou­ler si une vague éclate sur le pont ? En fait, le pont est en pente vers l’ar­rière et rien ou presque n’ar­rête l’écou­le­ment de l’eau à l’ar­rière. De plus, trois impor­tantes ouver­tures (des dalots) sont prévues de chaque côté. Le célèbre calcul de la baignoire qui se vide a été fait et refait. Il faudrait six secondes pour que le pont, plein à ras bord de l’avant à l’ar­rière, situa­tion diffi­ci­le­ment imagi­nable, se vide. Une à deux secondes dans le cas réaliste de la vague qui s’écrase sur l’avant.

L’abri posé sur le pont, la timo­ne­rie, est avancé au maxi­mum pour lais­ser une impor­tante plage arrière pour manœu­vrer. Du coup l’équi­page ne va-t-il pas être soumis à des mouve­ments trop violents quand le navire fonce dans les vagues ? Des calculs détaillés ont été réali­sés. Les fauteuils montés sur amor­tis­seurs doivent permettre d’en­cais­ser les « accé­lé­ra­tions verti­cales ».

Le loge­ment d’an­nexe sous la plage arrière, où les archi­tectes ont prévu d’abri­ter une embar­ca­tion pneu­ma­tique très rapi­de­ment gonflable grâce à une prise dans le coffre, avec ou sans moteur à poste, cris­tal­lise encore une sorte d’in­épui­sable débat entre anciens et modernes. Une annexe sert surtout à aller du quai au bateau quand celui-ci est au mouillage. Certaines stations dont le bateau est amarré à quai ne s’en servent jamais. D’autres ont l’ha­bi­tude de l’uti­li­ser aussi en opéra­tion pour aller passer une remorque à un bateau, trans­fé­rer des naufra­gés, s’ap­pro­cher d’une zone de petits fonds, etc.

Très axées sur la sécu­rité des équi­pages, les réflexions sur les nouveaux bateaux ont été plutôt sous-tendues par l’idée qu’en dehors des nageurs et plon­geurs de
bord, les sauve­teurs doivent quit­ter le moins possible leur bateau. Les grosses défenses doivent permettre d’abor­der direc­te­ment les embar­ca­tions secou­rues. Les faibles tirants d’eau doivent permettre de s’ap­pro­cher des petits fonds. Le NSH1 équipé de jets devrait avoir un tirant d’eau limité à 0,85 m contre 1,40 m pour la dernière géné­ra­tion de canots tous temps. Les fragiles annexes devraient donc être moins utili­sées en opéra­tion. Quand elles ont les moyens en hommes et en finan­ce­ment, certaines stations répondent à la ques­tion en se dotant comme deuxième embar­ca­tion un grand pneu­ma­tique semi-rigide rapide qui peut inter­ve­nir, dans les cas diffi­ciles, en complé­ment du navire prin­ci­pal. En fait chaque zone du litto­ral a ses parti­cu­la­ri­tés dont découlent des diffé­rences de doctrine entre stations.

Quand le groupe examine, par exemple, le compar­ti­ment le plus à l’avant, celui où se range la chaîne de mouillage éven­tuel­le­ment allon­gée par un câble textile, on entend bien les diffé­rences entre les stations qui ne mouille­raient leur ancre qu’en cas d’ur­gence (moteur en panne près des rochers) et celles qui l’uti­lisent couram­ment pour manœu­vrer. Par exemple celles qui mouillent au vent d’un bateau échoué pour lui lais­ser filer une remorque et commen­cer à tirer pour le déga­ger. Ces diffé­rences ont été prises en compte.


Même diver­sité logique des besoins quand on parle de l’im­por­tance de la consom­ma­tion élec­trique et de l’op­por­tu­nité d’avoir, ou pas, un groupe élec­tro­gène en plus des alter­na­teurs atte­lés aux moteurs. Ceux dont le bateau reste au mouillage et pas amarré à quai préfèrent dispo­ser d’un groupe élec­tro­gène. Ceux qui doivent sortir en urgence l’été, dans le Sud, dans une cabine surchauf­fée par le soleil, ont besoin d’une clima­ti­sa­tion qui consomme de l’élec­tri­cité. La liste semble infi­nie : les canots amar­rés côté au quai ou « cul » au quai, les équi­pages qui préfèrent le poste exté­rieur à bâbord ou à tribord…

La SNSM c’est une flotte, mais aussi deux cent dix-huit stations de sauve­tage et trente-deux CFI qui ont chacun une forte person­na­lité. Tous leurs besoins et argu­ments ont été patiem­ment discu­tés et inté­grés dans le programme.


Hélice ou jet ?

La flotte actuelle de la SNSM est essen­tiel­le­ment propul­sée par des hélices. Cepen­dant, la réflexion sur la nouvelle géné­ra­tion a relancé l’idée d’uti­li­ser plus large­ment des jets (une sorte de tube qui crache sous l’eau un jet d’eau sous pres­sion, ce qui fait avan­cer, tour­ner ou recu­ler le bateau selon l’orien­ta­tion du jet). Plusieurs flottes des socié­tés de sauve­tage euro­péennes en sont équi­pées.

Avan­tages : moins de risques pour les plon­geurs ou victimes à l’eau autour du bateau, surtout sur l’ar­rière ; moins de risques d’abî­mer une hélice en touchant dans les petits fonds (le Pôle de soutien de la flotte stocke un nombre impres­sion­nant d’hé­lices à chan­ger) ; et surtout une mania­bi­lité stupé­fiante du navire quand il faut s’ap­pro­cher d’un autre bateau, d’un rocher, d’une victime, ou tenir sa trajec­toire par mer de l’ar­rière pour rentrer au port…

Restent des ques­tions dont la réponse est suscep­tible d’évo­luer avec les progrès des jets : risques de manque de pous­sée au remorquage, et entre­tien très exigeant si on ne veut pas perdre en puis­sance. Il faut que la coque et les jets soient bien propres. Conclu­sion : les nouveaux bateaux sont conçus pour que la coque puisse être propul­sée par des hélices ou par des jets, au choix des stations.


De la concep­tion à la mise à l’eau

Ce sera en prin­cipe un premier NSH1 pour L’Her­bau­dière (Noir­mou­tier), d’ici 2020, peut-être un NSH1 ou 2 pour Oues­sant ou Trévi­gnon Concar­neau, un NSC1 pour Cour­seulles. Avant qu’une station ne célèbre la béné­dic­tion d’un premier navire de sauve­tage issu de cette nouvelle gamme, il faudra encore fran­chir de nombreuses étapes.

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Discus­sion géné­rale sur le projet.

La direc­tion tech­nique de la SNSM a lancé un appel à candi­da­tures pour sélec­tion­ner le maître d’oeuvre d’en­semble, autre­ment dit l’in­dus­triel qui va se faire fort de produire tous ces bateaux à des prix et dans des délais accep­tables, fixés à l’avance, pour tout le « cata­logue ». La SNSM les lui en comman­dera au gré de ses besoins et possi­bi­li­tés.

Ce sera au maître d’œuvre retenu d’af­fi­ner encore les plans en tenant compte de ses contraintes de construc­tion. Il devra aussi répondre à celles que lui impo­sera la direc­tion tech­nique de la SNSM et le GT5, qui va conti­nuer son travail d’ac­com­pa­gne­ment sous forme d’"équipe projet". Notam­ment pour que les bateaux aient une durée de vie plus longue que les trente ans sur lesquels on raisonne pour les unités actuelles, et aussi pour qu’ils puissent évoluer en fonc­tion des inévi­tables progrès tech­niques (chan­ge­ments de type de moto­ri­sa­tion, nouveaux équi­pe­ments).

On raisonne désor­mais en « coût global de posses­sion » sur la durée de vie du navire. La SNSM voudrait aussi que moteurs et maté­riel élec­tro­nique soient suffi­sam­ment stan­dar­di­sés pour qu’on puisse stocker des rechanges et pour qu’ils puissent être bien suivis par une GMAO (main­te­nance assis­tée par ordi­na­teur) qui se met en place à la SNSM. Elle veut égale­ment que les équi­pe­ments soient faci­le­ment acces­sibles en entre­tien (coupe-circuits regrou­pés, baies élec­tro­niques acces­si­bles…)

Quand va-t-elle en comman­der, juste­ment? Quel est le plan­ning ? Ques­tion compliquée. Les Sauve­teurs en Mer ne disposent pas de la visi­bi­lité finan­cière suffi­sante pour pouvoir s’en­ga­ger ferme­ment sur un programme d’in­ves­tis­se­ment pluri­an­nuel qui reste toujours quelque peu indi­ca­tif. À titre indi­ca­tif, le prix d’un navire hautu­rier s’élève rapi­de­ment à plus d’un million d’eu­ros.

Pour finan­cer un nouveau navire de sauve­tage, on compte en géné­ral sur quatre sources de finan­ce­ment : la cagnotte de la station elle-même, qui a réussi à mettre de côté de l’ar­gent venant des dona­teurs petits ou gros et des multiples actions de collecte locale ; le siège natio­nal de la SNSM qui béné­fi­cie un peu, encore trop peu, d’ar­gent de l’État et surtout de celui d’une partie des 100 000 dona­teurs que compte la SNSM et de quelques grands parte­naires privés ; les collec­ti­vi­tés locales enfin, dépar­te­ments et régions essen­tiel­le­ment .

Il faut que toutes ces fées soient penchées en même temps sur le berceau. En plus, il faut que la SNSM puisse assu­rer le préfi­nan­ce­ment de la construc­tion, ce qu’elle fait grâce aux dons et au regrou­pe­ment des tréso­re­ries de toutes les stations dans un « pool » natio­nal.

On comprend donc qu’au moment où il faudra choi­sir le nom du premier navire de la nouvelle gamme, une infi­nité d’autres ques­tions auront trouvé leur solu­tion.

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Béné­dic­tion du CTT de Sète en 2017. Vers la béné­dic­tion du premier bateau de la nouvelle gamme en 2020 ?

Article de Jean-Claude Hazera publié dans Sauve­tage numéro 144 2ème trimestre 2018.