Découvrez le témoignage d'Alexis, sauvé par les sauveteurs de Goury

Le 25 octobre 2017, Alexis L., skip­per expé­ri­menté, est parti en mer pour rele­ver ses casiers de pêche. Soudain, il se retrouve à la mer, agrippé à la coque de son semi-rigide retourné. Décou­vrez ci-dessous le récit de son aven­ture.

Station de sauvetage SNSM de Goury - La Hague dans le Cotentin, vue du ciel
Le bâtiment octogonal datant de 1928 qui abrite le canot de sauvetage est doté d'une plaque tournante permettant, par une simple rotation, d'utiliser l'un ou l'autre des deux rails de descente à la mer. L'un donne accès à l'eau à marée basse et l'autre à marée haute. Le canot peut intervenir ainsi vingt-quatre heures sur vingt-quatre. ©Charles Marion

Le 25 octobre 2017 à 11 heures, le centre régio­nal opéra­tion­nel de surveillance et de sauve­tage (CROSS) Jobourg met la station de sauve­tage SNSM de Goury-La Hague en alerte pour « détresse » concer­nant une personne en dérive sur son bateau retourné. Loca­li­sa­tion : au nord du nez de Jobourg, baie d’Es­cal­grain. À 11 h 34, le canot de sauve­tage Mona Rigo­let récu­père le naufragé à son bord. Plusieurs mois après sa mésa­ven­ture, le skip­per, Alexis L., nous a adressé le récit de son aven­ture.

Retrou­­vez le témoi­­gnage d’Alexis dans l’épi­­sode 1 de la saison 1 de nos podcasts « Canal 16, la radio des Sauve­­teurs en Mer » :

Décou­vrez le récit audio d’Alexis L. dans le témoi­gnage ci-dessous :

« Comment est-ce possible ? Plus que la peur, c’est une totale incom­pré­hen­sion et une sorte de fureur que je ressens. Cela fait plus de quarante ans que je pratique la navi­ga­tion au cap de la Hague, avec l’im­pres­sion de connaître tous ses récifs, ceux toujours
émer­gés et ceux qui appa­raissent au gré des marées, les endroits où le courant est violent et ceux où j’ai le plus de chance d’at­tra­per un pois­son à la traîne ou un homard dans mon casier. En une seconde, une vague, pas très grosse, un mètre tout au plus, s’est levée sur ma droite et a déferlé au mauvais moment, retour­nant mon semi-rigide instan­ta­né­ment sans que le coup de barre initié ait eu le temps de faire virer mon bateau. Je grimpe sur la coque retour­née et commence à analy­ser la situa­tion.

Tombé à l’eau, Alexis décide de ne surtout pas quit­ter son bateau retourné

Mon métier de pilote de ligne m’a appris que, face à une situa­tion impré­vue, il ne faut surtout pas se préci­pi­ter. Avant d’agir, il faut lister les faits, les options, les risques asso­ciés, puis prendre une déci­sion, l’exé­cu­ter, et véri­fier régu­liè­re­ment que la déci­sion prise
demeure compa­tible avec l’évo­lu­tion en temps réel de la situa­tion. Nous appe­lons cela le FORDEC*. Et, puisque tous les six mois je passe des heures dans un simu­la­teur de vol pour maîtri­ser l’exer­cice, je vais tenter de resti­tuer mon appren­tis­sage. Car
cette fois-ci, c’est du réel et j’ai bien conscience qu’à l’is­sue de la séance, il n’y aura pas de débrie­fing ni d’ap­pré­cia­tion, mais que le cours de mon exis­tence risque d’être impacté d’une façon assez radi­cale !

Aussi, je décide après analyse de ne surtout pas quit­ter mon bateau retourné pour tenter de rejoindre la côte à la nage. Le courant est puis­sant et, si j’at­tei­gnais le rivage, il n’y aurait que des roches battues par les vagues pour m’ac­cueillir et je risque­rais de me frac­tu­rer un membre. Je serais alors inca­pable de me mettre en sécu­rité.

Une dérive tumul­tueuse de plus d’une demi-heure

Je récu­père mon ancre pour ne pas déri­ver vers le large où j’aperçois les défer­lantes et les marmites causées par le raz Blan­chard. C’est un échec : la force du courant a raison de mon amarre et me voici emporté vers des rapides qui longent le nez de Jobourg.
Je ne peux atteindre mes VHF qui sont rangées dans la console. Mon bateau filant au-dessus de récifs affleu­rant la surface de l’eau, j’es­time trop risqué de tenter une apnée sous celui-ci. Pour ce qui est du télé­phone, il a rendu l’âme malgré sa préten­due étan­chéité. Il m’est donc impos­sible de contac­ter qui que ce soit. Moi qui adore navi­guer des heures dans cet endroit si sauvage, je trouve la côte du cap de la Hague un peu trop déserte cette fois-ci.

Après une quaran­taine de minutes de dérive tumul­tueuse entre les innom­brables cailloux qui bordent la côte, j’aperçois des prome­neurs sur le chemin doua­nier. J’agite au-dessus de ma tête mon gilet de sauve­tage et, après de longues secondes, ils me font
des signes de la main. J’es­père alors qu’ils ont pris conscience de ma situa­tion, quelque peu incon­for­table. Cela peut sembler évident, mais ces prome­neurs m’ont aperçu à peine une minute et à près de cent cinquante mètres du niveau de la mer. À cette distance et vu d’en haut, le côté pile d’un semi-rigide est très simi­laire au côté face…

En hypo­ther­mie et emporté vers le large par le courant

Ma situa­tion se dégrade ensuite, car le courant m’em­porte inexo­ra­ble­ment vers le large. Je commence à souf­frir d’hy­po­ther­mie et à douter de mes chances de survie… On devrait peindre SOS sur la carène des bateaux !

Dans la direc­tion du port de Goury, il me semble aper­ce­voir un bateau. C’en est bien un et, à mon grand soula­ge­ment, il se dirige vers moi. Quand je distingue qu’il est de couleur vert et orange, je réalise que, si je m’ac­croche encore un quart d’heure, je serai sauvé. J’ai proba­ble­ment, comme toute personne navi­guant, éprouvé une grande admi­ra­tion pour les béné­voles de la SNSM et leur capa­cité à sortir les jours de tempête pour porter secours aux naufra­gés.

Enfin sauvé et récon­forté par les paroles rassu­rantes des sauve­teurs en mer de la SNSM

Ce jour-là, j’ai été extrê­me­ment touché par les mots qu’ils m’ont dits. Alors que j’ex­pri­mais ma gêne du fait qu’ils aient eu à risquer leur vie pour me porter assis­tance, l’équi­page m’a immé­dia­te­ment demandé de cesser de présen­ter des excuses, m’ex­pliquant
qu’eux aussi aimaient les sorties en mer, qu’ils igno­raient les causes de mon naufrage, mais que ce qui impor­tait était de me réchauf­fer et de rame­ner mon bateau et moi au bord.

Ces phrases décul­pa­bi­li­santes et d’une très grande gentillesse m’ont ému et récon­forté. Je suis certain qu’elles m’ont aidé à digé­rer rapi­de­ment cette mésa­ven­ture, et ainsi permis de repar­tir sur l’eau avec toujours le même plai­sir… et une VHF sur moi !

Je tiens à expri­mer ma plus sincère recon­nais­sance à toutes les personnes œuvrant pour la SNSM. Ils offrent aux usagers de la mer que nous sommes une incroyable sécu­rité. Sans leur dévoue­ment, nous n’au­rions plus cette récon­for­tante impres­sion d’avoir un ange gardien qui veille sur nous lorsque nous navi­guons. Il nous faut les soute­nir, être prudent et avoir toujours sur soi un moyen de les appe­ler à l’aide. »

*FOR­DEC : Facts : les faits ; Options : les options dispo­nibles ; Risks : les risques ; Decide : déci­sion ; Execute : exécu­tion ; Check : véri­fi­ca­tion.

Alexis Le Tullier, président de la station de sauvetage SNSM de Goury - La Hague, pose avec Alexis L., venu remercier ses sauveteurs, sur le canot de sauvetage
Alexis L. s’est rendu à la station en décembre 2018 afin de remer­cier à nouveau ses sauveurs. Il pose ici au côté d’Alexis Le Tullier, président de la station SNSM de Goury, à bord du canot de sauve­tage « Mona Rigo­let » ©D.R.

Nos sauve­teurs sont entraî­nés et équi­pés pour effec­tuer ce type de sauve­tage. Grâce à votre soutien, vous les aidez à être présents la prochaine fois !

 


Équi­page engagé

SNS 067 Mona Rigo­let

Patron : Jérôme Lebou­len­ger

Sous-patron : Jacques Lepar­men­tier

Infir­mière : Auré­lie Sanson

Treuilliste : Rémi Lepar­men­tier

Méca­ni­cien : Sébas­tien Lebou­len­ger

Cano­tiers : Stéphane Lepar­men­tier, Edouard Pannier Desri­vières

Nageurs de bord : Matthias Lefaix, Olivier Vimond

 

Article rédigé par Alexis L. dans le maga­zine Sauve­tage n°147 (1er trimestre 2019)