Un véliplanchiste sauvé par la SNSM après dix-huit heures passées en mer

Sa tempé­ra­ture corpo­relle tombée à 27,6 °C après dix-huit heures dans une mer à 12 °C, un véli­plan­chiste est sauvé de justesse le matin de Pâques à 20 kilo­mètres au large devant Gruis­san, grâce à la géné­reuse obsti­na­tion d’un vaste dispo­si­tif de recherches déployé dans les airs, en mer et sur terre. Récit.

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Le véliplanchiste enfin en visuel des sauveteurs © SNSM Gruissan

Je m’en veux, je m’en veux beau­coup », martèle Yan C., 52 ans. « Par incon­sé­quence, j’ai mono­po­lisé de nombreux sauve­teurs et inquiété bien des personnes. » Ainsi s’ac­cuse ce mordu de wind­surf qui a survécu sans séquelles à dix-huit heures de dérive (un après-midi, une nuit et un début de mati­née) dans une eau à 12 °C. Tout avait bien commencé, samedi 3 avril, quand ce Toulou­sain et ses trois amis se mettent à l’eau vers 11 heures pour tirer des bords athlé­tiques entre Port-La-Nouvelle et Gruis­san. Pas sur l’étang, plus sûr quand la tramon­tane souffle de terre à 60 km/h. Mais en mer, plus fun, avec des vagues hachées. Sur des creux de 1,25 à 2,50 mètres, les planches claquent et rebon­dissent. C’est spor­tif, exci­tant, épui­sant. « Passé 14 heures, j’étais vidé, avoue Yan. Je me suis retrouvé au bain plusieurs fois, jusqu’à ne plus avoir la force de rele­ver ma voile et de repar­tir. » Commence alors une très longue dérive dans l’at­tente de secours.

De retour à terre, ses trois amis s’inquiètent. Ils l’at­tendent  une  heure  avant  d’ap­pe­ler  les  secours  au 196. À 15 h 38, l’of­fi­cier de quart à La Garde lance le  sauve­tage.  En  mer, il  engage  succes­si­ve­ment  trois vedettes SNSM. En quinze minutes, appa­reillent les SNS 202 Notre-Dame-des-Auzils III (station de Gruis­san), SNS 133 Gema-Corbières (Port-La-Nouvelle) et son semi-rigide SNS 508. À terre, deux patrouilles de pompiers partent ratis­ser les plages nord et sud de La Vieille, vides. Alors, le CROSS ajoute d’autres maillons. Répon­dant à son Mayday Relay, la vedette de la gendar­me­rie mari­time appa­reille, tandis que décolle, de Narbonne, l’hé­li­co­ptère Dragon de la Protec­tion Civile. Depuis le ciel, meilleure est la proba­bi­lité de repé­rer un homme à la mer.

À tous, l’of­fi­cier de quart attri­bue des zones de recherche : des rectangles défi­nis qu’ex­plorent les SNS en longs lacets paral­lèles. L’hé­li­co­ptère, par contre, suit une spirale gran­dis­sante à partir d’un point estimé, celui où les amis de Yan l’ont situé pour la dernière fois. Un point d’au­tant moins précis que la tramon­tane entraîne le disparu plus au large, à chaque minute. Aussi, le CROSS donne de nouveaux rectangles de recherche, en s’ap­puyant sur son expé­rience et sur les calculs esti­ma­tifs de Météo France.

« J’ai vu au loin passer la vedette de la gendar­me­rie, se souvient Yan. Et aussi un hélico jaune et rouge. Ça m’a boosté : on me cher­chait, on me trou­ve­rait. Rester bien accro­ché à mon flot­teur. Tenir malgré le froid. Plus tard, une vedette orange de la SNSM fonce droit sur moi. À 60 mètres de moi, elle vire à 90 degrés. Elle ne m’a pas vu. Une réalité s’im­pose : avec la nuit proche, ça va être long et très diffi­cile. » Se souve­nant d’un loin­tain service mili­taire, le naufragé orga­nise sa lutte contre le froid, qui le pénètre et le mord. Se glis­ser dans l’eau pour exécu­ter des mouve­ments, stimu­ler la circu­la­tion sanguine et se réchauf­fer. S’étendre sur sa planche pour profi­ter d’un air à peine plus chaud que l’eau…

Au Dragon succède un héli­co­ptère Panther de la flot­tille 36F, basée à Hyères. Pour profi­ter au mieux du jour qui décline, le CROSS ajoute le Falcon 50M de la base aéro­na­vale de Lorient. Sur zone, il lancera un nouveau Mayday Relay, auquel répon­dra le voilier Virgi­nie, qui complè­tera le dispo­si­tif. Sur l’eau, inlas­sa­ble­ment, les embar­ca­tions SNSM scrutent leurs zones de recherche. À bord, l’or­ga­ni­sa­tion est simple : dans la timo­ne­rie, le patron est en inter­face avec son équi­page et le CROSS, le sous-patron à la barre et le radio à la VHF ; sur le pont, les équi­piers sont en veille atten­tive.

Quand s’ins­talle la nuit, le dispo­si­tif s’adapte. Si l’éner­gie de tous les sauve­teurs reste constante, les réser­voirs de carbu­rant se vident. Alors que la SNS 253 Fran­cese de Cezelly (Port Leucate) rejoint la zone, à tour de rôle, aéro­nefs et vedettes SNSM retournent faire leurs pleins, remplacent partiel­le­ment leurs équi­pages fati­gués. Puis tous ces moyens reprennent leur quête incer­taine. Passé minuit, après plus de dix heures de recherche, ils égrènent un même R.A.S. (rien à signa­ler) et rentrent. La SNS 253 tien­dra encore jusqu’à 2 h 45. Le CROSS La Garde suspend alors les recherches mais orga­nise leur reprise  dès  6 heures.  Épui­sés, les  sauve­teurs  béné­voles sont démo­ra­li­sés. « On est rentrés, confirme Patric Massol, patron de la SNS 253, avec le senti­ment très net d’avoir échoué. »

Au large, Yan pour­suit sa lente dérive. « Main­te­nant que s’étaient éteints les projos des vedettes, je savais que j’en avais pour la nuit  », racon­tera-t-il. Sans montre pour suivre les heures. Sans rien à boire, ni à manger. Rien que l’es­poir pour tenir : « Pour résis­ter, j’ai pensé 10SAU­VE­TAGE #156à mes trois enfants, à ma compagne, mes parents, aux copains du wind­surf, de la pelote basque et du bureau. Il fallait tenir, tenir encore pour ne pas les peiner.  » Voilà son secret pour se forger un moral d’acier. Et ne pas s’en­dor­mir comme le froid l’y pousse. Céder au sommeil, c’est mourir.

Enfin, l’aube fait place au dimanche de Pâques. Bien­tôt, les cloches carillon­ne­ront la résur­rec­tion. Celle de Yan, aussi ? Au CROSS, le même offi­cier de quart orchestre la reprise des recherches. Pour un survi­vant ou pour un noyé ? Ques­tion­ne­ment terrible que tous ont à l’es­prit. Dans le ciel tourne déjà l’im­po­sant Atlan­tique 2 Rescue Char­lie (37,50 m d’en­ver­gure), engagé depuis Lorient. À son bord, deux pilotes, deux méca­ni­ciens et neuf opéra­teurs rodés aux missions de recherche et sauve­tage. Sur l’eau, la SNS 202 de Gruis­san. «  À 6 h 40,précise Guillaume Benoit, patron de la vedette, quand on a repris, le regard de chacun était aussi triste qu’au retour, quatre heures plus tôt. L’es­poir de retrou­ver Yan vivant était si mince. » Mobi­li­sée aussi, la SNS 133. Tous reprennent leur patient ratis­sage. « Vers 8 h 50, raconte Didier Bobrie, président de la station de Gruis­san, on a entendu le pilote de l’avion, sur la VHF, tenir enfin un visuel sur le naufragé et donner les coor­don­nées à 20 kilo­mètres au large. Notre canot n’était plus qu’à 2 milles. Sans l’avion, pas dit qu’on l’au­rait trouvé. »

«  J’ai vu l’avion. Énorme. Très bas sur l’eau. Puis il a viré et plus rien, se souvient Yan. Quand une voix m’a lancé « On arrive », j’étais tout surpris. En me hissant hors de l’eau, ils m’ont rendu ma vie. » Bien que sa tempé­ra­ture corpo­relle soit tombée à 27,6 °C, le survi­vant arrive encore à répondre aux ques­tions des sauve­teurs, impres­sion­nés, qui le déposent à quai à Port-La-Nouvelle. Une ambu­lance le conduit à l’hô­pi­tal de Narbonne. Trente-six heures plus tard, Yan en ressort, mira­culé. « C’était un très beau sauve­tage, conclut Guillaume Benoit. Sans doute le plus beau que j’ai connu en douze ans et trois cents opéra­tions à la SNSM. »

Rentré à Toulouse, Yan n’en revient pas. Il ne soup-çonnait pas de telles réserves physiques et mentales chez lui pour tenir dix-huit heures dans l’eau, à 12 °C. Pas plus ne soupçon­nait-il qu’au­tant d’in­con­nus se mobi­li­se­raient pour lui. Rien que pour la SNSM, près de trente béné­voles ont parti­cipé aux recherches. Ni qu’au­tant de moyens seraient enga­gés. L’énorme chaîne des secours orga­ni­sée pour Yan repré­sente un inves­tis­se­ment phéno­mé­nal, auquel s’ajoutent l’en­tre­tien et les consom­ma­tions de carbu­rant. Des tonnes pour les aéro­nefs, des milliers de litres pour les vedettes SNSM. Un coût impor­tant ; mais, en mer, une vie n’a pas de prix.

 

Tout pour éviter une même mésa­ven­ture

« Je sais désor­mais ce qu’ il faut faire et ne pas faire, témoigne Yan :

– En partant à quatre, on pensait s’auto-proté­ger pour gérer un pépin. Illu­sion. Un réfé­rent à terre aurait faci­le­ment donné ma loca­li­sa­tion et évité des heures de recherche.

– Ne jamais présu­mer de ses forces. Rentrer avant de les avoir épui­sées.

– Dispo­ser d’un moyen de se loca­li­ser, comme DIAL. Je viens de décou­vrir ce brace­let GPS que l’on active en cas de pépin [NDLR : dispo­nible auprès de la boutique SNSM, https://labou­tique.snsm.org, rubrique Navi­ga­tion, puis Dispo­si­tif indi­vi­duel d’alerte et de géolo­ca­li­sa­tion]. Grâce à lui, les secours savent exac­te­ment où vous cher­cher. Pour 149 €, c’est une formi­dable assu­rance-vie. Faute d’un simple DIAL, j’ai barboté dix-huit heures, failli perdre la vie et coûté des fortunes en recherches.

– Dispo­ser de moyens de commu­ni­ca­tion : télé­phone sous housse étanche ou, mieux, VHF 406, pour moins de 300 €, ai-je appris. Y ajou­ter un miroir, une diode à led, un sifflet. Ça ne pèse rien.

– Empor­ter un mini-sac à dos avec une fusée, un bâton lumi­neux Cyalume, de l’eau et des barres de céréales. »

– Autre impé­ra­tif pour tous : le gilet de sauve­tage. Yan a su rester accro­ché à sa planche à voile. S’il l’avait perdue, il était condamné, faute de gilet.

– Ultime ensei­gne­ment : avoir un maté­riel et des tenues de couleurs bien visibles, complé­tés par des bandes réflé­chis­santes. Yan et ses amis ont déjà repeint leurs casques d’un coup de bombe. En orange SNSM, bien sûr ! 

Article rédigé par Pactrick Moreau dans le maga­sine Sauve­tage n°156 (2eme semestre 2021)

 


Équi­pages enga­gés :

SNS 202 Notre Dame des Azou­lis III – Station de Gruis­san

Patron titu­laire : Guillaume Benoît (samedi et dimanche)

Patron suppléant : David Riquier (samedi et dimanche)

Sous-patrons : Bertrand Jaouen (samedi et dimanche), Sébas­tien Vandelli (samedi et dimanche) et Lionel Segui (dimanche)

Cano­tiers : Lynda Riquier (samedi et dimanche), Didier Stephan (samedi), Michel Ramiere (samedi), Nico­las Petit (samedi), Philippe Guillon (dimanche), Luc Albero (dimanche) et Chris­tian Leonetti (dimanche)

Vedette SNS 133 Gema-Corbières et semi-rigide SNS 508 (Port-La-Nouvelle)

Patron : Patric Massol

Patron suppléant : Cédric Rose­Ra­dio : Daniel Depo

Équi­piers : Yves Boulbes, Karine Perez, Chris­tian Salom

Vedette SNS 253 Fran­cese de Cezelly (Port Leucate)

Patron : Romain Vanbrugge

Équi­piers : Mathias Deno­nain, Damien Diot, Ivan Guille­beaud, Jean-Jacques Subra, Jean-Charles Walter