Sur le chantier de construction de la nouvelle flotte des Sauveteurs en Mer

Repor­tage au Chan­tier Naval Couach, où se construisent à la chaîne les plus grands navires de sauve­tage de la nouvelle flotte des Sauve­teurs en Mer.

"SNS 17-01" navire de sauvetage hauturier de type 1
Une dizaine de navires de sauvetage hauturier de type 1 est en construction au Chantier Naval Couach. Ici, le "SNS 17-01", premier de la série. © SNSM

Plus de 70 000 m² de chan­tier naval, divi­sés en plusieurs grands halls sépa­rés par des cours. Quand on les parcourt, surchaus­sures de sécu­rité aux pieds, on appré­hende mieux les formi­dables dimen­sions des lieux. Et on comprend pourquoi certains employés se déplacent à trot­ti­nette. Nous sommes au Chan­tier Naval Couach, à Gujan-Mestras, au bord du bassin d’Ar­ca­chon, où est lancée la construc­tion en série des navires de sauve­tage hautu­rier de type 1, les plus impo­sants de la nouvelle flotte de la SNSM. Sous la fenêtre du direc­teur du programme, Jean-Pierre Guemri, une énorme coque de 17 mètres de long, orange à l’avant, grise à l’ar­rière. Pas de doute, c’est la livrée conçue gracieu­se­ment par le célèbre desi­gner Philippe Starck.

Dans ce hall, un détail inter­pelle : l’en­semble pont-timo­ne­rie – déjà très avancé et équipé – n’est pas installé sur la coque, mais posé plus loin. La «  boîte » n’est pas encore fermée. Dans le hall voisin, même « Meccano », mais moins avancé. La timo­ne­rie n’est pas fixée au pont.

Tempé­ra­ture et humi­dité régu­lées en perma­nence

Conti­nuons à remon­ter la chaîne. Que cachent ces immenses draps en plas­tique ? Une coque en phase de pein­ture. Et là, isolée, comme punie ? Encore une coque, à peine sortie du moule, pas encore peinte, qui fait de la pous­sière quand on y pratique les découpes néces­saires aux équi­pe­ments. « Si j’en­tends une scie sauteuse faire de la pous­sière ailleurs, c’est un signal d’alarme. Quelque chose n’a pas été bien prévu  », explique Chris­tian Pouliquen, qui dirige l’unité auto­nome de produc­tion des navires de sauve­tage.

La chaîne de fabri­ca­tion est décom­po­sée en plusieurs espaces car chaque atelier a ses contraintes. Dans le hall dédié aux maté­riaux compo­sites, tempé­ra­ture et humi­dité sont régu­lées en perma­nence. La résine, aspi­rée par le vide dans une multi­tude de petits tuyaux, remplira parfai­te­ment le moindre recoin du moule en imbi­bant les tissus de verre ou de carbone. Pour le moment, opéra­trices et opéra­teurs – on ne parle plus d’ou­vriers, ici – posent avec grand soin les tissus prédé­cou­pés d’un futur pont, que l’on peine à recon­naître à l’en­vers. Nous venons de voir cinq exem­plaires du plus grand des bateaux de la nouvelle flotte des Sauve­teurs en Mer, à des stades diffé­rents. En décembre dernier, la SNSM lancé la fabri­ca­tion de dix unités via une seule commande ! Après les ralen­tis­se­ments dus à la crise sani­taire, aux diffi­cul­tés d’ap­pro­vi­sion­ne­ment et aux indis­pen­sables mises au point du proto­type, la mise en service du SNS 17–01 à la station de L’Her­bau­dière, sur l’île de Noir­mou­tier, la SNSM et le chan­tier ont mis un grand coup d’ac­cé­lé­ra­teur.

Couach a été sélec­tionné pour sa capa­cité à indus­tria­li­ser une produc­tion en série de navires simi­laires. Pour autant, ni robots ni bateaux qui avancent tout seuls sur des rails. Ici, l’in­dus­tria­li­sa­tion a une atmo­sphère de ruche tranquille. Pas de « Ramè­ne­moi une visseuse ! » ni de « Tu pour­rais te pous­ser un peu pendant qu’on passe nos fils ? » Tout semble glis­ser sans heurts. L’éli­mi­na­tion des dysfonc­tion­ne­ments suppose un gros travail en coulisses. À partir des plans très détaillés du bureau d’études, des spécia­listes ont décom­posé et mis chaque action dans un ordre logique, évalué les temps d’in­ter­ven­tions, prévu les outils néces­saires et l’ap­pro­vi­sion­ne­ment en maté­riaux.

La quatrième phase est en cours pour le navire destiné à La Coti­nière, sur l’île d’Olé­ron. Elle est décom­po­sée en 198 actions. À l’écran de l’or­don­na­teur – person­nage clé qui gère le plan­ning –, l’avan­ce­ment s’af­fiche en pour­cen­tage, en gros. Le travail est orga­nisé pour que deux équipes ne se gênent pas au même endroit. Chacune trouve sa cais­sette prépa­rée. S’il manque quelque chose, alerte.

Cette plani­fi­ca­tion doit s’adap­ter en perma­nence à la réalité, notam­ment à la dispo­ni­bi­lité des appro­vi­sion­ne­ments. « C’était tragique après les confi­ne­ments. C’est mieux, sans être parfait, explique Jean-Pierre Guemri. Il faut comp­ter plus d’un an de délai pour un moteur. Et il y a trois mille réfé­rences à gérer. » La dispo­ni­bi­lité des opéra­trices et opéra­teurs est tout aussi essen­tielle. Diffi­culté parti­cu­lière pour un chan­tier situé dans une zone touris­tique : la tension sur les loge­ments et le prix de l’im­mo­bi­lier.

Les bénévoles de Goury
Les béné­voles de Goury – La Hague devant la coque de leur futur navire. SNSM
Iintérieur du bateau

Impres­sions de futurs utili­sa­teurs

« C’était parti­cu­liè­re­ment inté­res­sant de voir l’in­té­rieur de notre bateau comme sur un dessin éclaté », souligne Yoann Sanson, patron de station à Goury – La Hague, venu en juillet, avec quatre autres sauve­teurs béné­voles, voir la construc­tion de leur nouveau navire. Le chan­tier installe tout ce qui est possible de l’être avant de refer­mer la coque, notam­ment l’éche­veau des fils et cana­li­sa­tions. « Ils reste­ront appa­rents, acces­sibles et bien iden­ti­fiés », se réjouit Yoann, qui estime que ces nouveaux navires desti­nés à durer quarante ans, au lieu de trente aupa­ra­vant, seront beau­coup plus aisés à entre­te­nir.

On voit que le plan­ning a orga­nisé la coha­bi­ta­tion fluide de deux métiers. Sur l’ar­rière, deux opéra­teurs fixent les tubes d’étam­bot (sortie des arbres d’hé­lice) à la résine. Dans l’autre compar­ti­ment, leur collègue installe les volets qui permet­tront de fermer, à distance, l’ali­men­ta­tion en air en cas d’in­cen­die dans la salle des machines. En mer, les sept compar­ti­ments sépa­rés par des cloi­sons trans­ver­sales seront fermés par des portes étanches pour assu­rer la flot­ta­bi­lité du navire en cas de brèche dans la coque.

La colle remplace les boulons

Impres­sion­nant et stra­té­gique. Sur ces navires modernes, beau­coup de vis et boulons – qui sont autant de risques d’en­trée d’eau et de corro­sion – sont rempla­cés par des collages indes­truc­tibles. Ici, les opéra­teurs mettent en place une des « bour­lingues », énormes bour­re­lets en caou­tchouc très dur desti­nés à proté­ger la coque quand il faut se rappro­cher d’un autre bateau bord à bord dans la houle. Même les pare-brise de la timo­ne­rie sont collés et l’en­semble coque-timo­ne­rie l’est aussi sur la coque ! Avant d’être fixé défi­ni­ti­ve­ment, celui du NSH1 de Goury – La Hague a été présenté « à blanc » une première fois pour tout véri­fier. Car, une fois collé, ça ne bouge plus. Fami­lier des tech­niques modernes, Yoann Sanson, le patron de la station, n’est pas du tout inquiet de navi­guer sur un bateau « collé ».

Mise en place d'une "Bourlingue"
Écusson

Construire pour les sauve­teurs, une fierté

Cet écus­son, photo­gra­phié sur le t-shirt des respon­sables du programme, devrait bien­tôt être distri­bué à l’en­semble des opéra­trices et opéra­teurs de l’unité auto­nome de produc­tion de bateaux de sauve­tage du Chan­tier Naval Couach. Chris­tian Pouliquen, direc­teur de la produc­tion des navires de sauve­tage, cultive la fierté de ceux qui fabriquent ces bateaux pas comme les autres, en insis­tant parti­cu­liè­re­ment sur leur respon­sa­bi­lité indi­vi­duelle et collec­tive en matière de qualité et de sécu­rité. Les équipes s’au­to­con­trôlent, le service qualité du chan­tier est présent en perma­nence sur la chaîne, des repré­sen­tants de l’or­ga­nisme de contrôle Bureau Veri­tas – recon­nais­sables à leurs tenues rouge et gris – passent une fois par semaine. Et en bout de chaîne, chaque navire subira des essais construc­teurs avant les essais des clients, les Sauve­teurs en Mer.

Évolu­tions et options

Pour béné­fi­cier au maxi­mum des effets de stan­dar­di­sa­tion (notam­ment en matière de main­te­nance), la nouvelle flotte des Sauve­teurs en Mer a été conçue « ramas­sée » (seule­ment six modèles du plus grand au plus petit), avec des options impor­tantes, mais conçues et étudiées à l’avance. Les bateaux sont en « évolu­tion perma­nente », en fonc­tion des remarques des futurs utili­sa­teurs, assure Jean-Pierre Guemri. Mais on essaye de ne pas toucher à l’es­sen­tiel : aux moules de coque, de pont et de timo­ne­rie, par exemple. En revanche, ce déflec­teur à l’étrave (photo) est collé après moulage pour limi­ter l’ar­ro­sage du pont, de la timo­ne­rie et du pare-brise constaté à grande vitesse sur le proto­type. Exemple d’op­tion très impor­tante, deux des navires en construc­tion pour les stations de L’Aber Wrac’h et Lège-Cap-Ferret seront propul­sés par des jets et non par des hélices, contrai­re­ment à d’autres modèles.

Navire en construction

Les dix bateaux en commande

Étaient en cours de construc­tion, lors de notre visite, les navires de Goury – La Hague (à la pointe du Coten­tin), La Coti­nière (à l’ouest de l’île d’Olé­ron), La Ciotat (à l’est de Marseille), L’Aber Wrac’h (à la pointe nord-ouest de la Bretagne) et Lège-Cap-Ferret (à l’en­trée du bassin d’Ar­ca­chon). Suivront Propriano (Corse), Le Croi­sic (à l’en­trée de l’es­tuaire de la Loire), Molène (l’île entre Oues­sant et la pointe de la Bretagne), Carro (à l’ouest de Marseille), Ouis­tre­ham (à côté de Caen, en Norman­die). Autant de futurs navires stra­té­giques pour la sécu­rité en mer.

Article rédigé par Jean-Claude Hazera, diffusé dans le maga­­­­­­­­­­­­­­­­zine Sauve­­­­­­­­­­­­­­­­tage n°165 (3ème trimestre 2023)