Nous avons passé trois jours à La Forêt-Fouesnant (Finistère) avec les douze participants d’une formation « équipier de pont » – le module de formation initial proposé à un nouveau bénévole – où ils ont acquis les fondements de la navigation sur un bateau de la SNSM. Découvrez ce qui vous attend si vous décidez de rejoindre les rangs des Sauveteurs en Mer.
Le sauvetage en mer ne s’improvise pas, il s’apprend. Dès les prémices des sociétés de sauvetage au XIXe siècle, leurs membres accordaient une grande importance à l’entraînement et à la transmission du savoir. Aujourd’hui, le compagnonnage et les exercices effectués dans les stations occupent toujours une place primordiale dans la formation des Sauveteurs en Mer.
En complément, la SNSM structure les parcours d’apprentissage des bénévoles grâce à des formations ciblées. Des sessions de quelques jours, où, encadrés par les neuf cent cinquante formateurs de l’association, ils apprennent les bases de chaque fonction : patron d’embarcation, nageur de bord, radio navigateur…
Des rafales à plus de 110 km/h déferlent sur les côtes du Finistère ce vendredi 31 mars 2023. L’océan, déchaîné, n’est plus qu’un champ de bataille d’un bleu intense, traversé de moutons blancs. Des nuages noirs effilés glissent vers la baie de La Forêt, au sud-est de Quimper. Au fond, blotti dans les arbres, Port-la-Forêt est relativement épargné par la tempête Mathis, qui se contente de faire siffler les haubans des centaines de voiliers amarrés aux pontons.
À l’abri dans un bâtiment moderne installé le long du quai, une vingtaine de Sauveteurs en Mer sont réunis pour un stage équipier de pont. « Pendant ces trois jours, nous allons vous transmettre les bases de connaissances pour naviguer sur une embarcation de sauvetage », annonce d’emblée Laurent Devavry, l’un des quatre formateurs. Debout devant un tableau, l’imposant sauveteur au bouc fourni fait face à douze stagiaires installés en demi-cercle.
Il y a David, 50 ans, crâne rasé, qui travaille dans un chantier de construction local après avoir été marin pêcheur. Romain, la trentaine, qui a quitté la région parisienne pour s’installer en Bretagne avec sa famille. Il a connu la SNSM en passant son permis bateau. Ou encore Brigitte, jeune retraitée aux cheveux courts et blancs, qui a eu « envie de donner un coup de main ».
Certains ont rejoint l’association voici de nombreuses années. D’autres viennent de s’enrôler. Tous ont jugé utile de prendre trois jours pour réviser les bases communes aux sauveteurs embarqués de la SNSM, qui interviennent en mer à partir d’embarcations. « Cette formation est un complément au compagnonnage effectué dans vos stations, où d’autres sauveteurs vous transmettent leur savoir », poursuit Laurent Devavry, avant d’entamer une présentation sur la chaîne du sauvetage en mer en France.
Quelques stagiaires prennent des notes. Tous écoutent religieusement. De temps à autre, quelqu’un toque à la porte de la salle. Les bénévoles qui vont piloter les embarcations, jouer les victimes ou simplement encadrer les stagiaires arrivent au compte-gouttes. Certains ont pris la mer à bord d’une vedette ou d’un semi-rigide depuis une station voisine.
Quel est l’équipement d’un sauveteur à bord d’un bateau ?
La première salve de cours terminée, les formateurs s’approchent de plusieurs portants à vêtements. L’équipement des stagiaires y est suspendu, prêt à l’emploi. Chacun dispose de deux panoplies : une tenue de mer, généralement portée sur les vedettes et les canots, et une combinaison dite sèche, hermétique, utilisée sur les semi-rigides, pour rester au sec même en tombant à la mer.
Quentin Le Personnic, l’un des formateurs, a revêtu une tenue de mer. « On doit s’équiper de ces combinaisons orange pour deux raisons : être visibles et se protéger, précise-t-il. Notamment du froid, qui est l’ennemi numéro un en mer. » Couteau, lampe flash, longe de sécurité… Il passe en revue chaque détail. Un long souffle retentit. Le sauveteur aux yeux bleus perçants a déclenché son gilet de sauvetage, qui se gonfle en quelques secondes. L’apprentissage par l’exemple.
Au tour des stagiaires de s’équiper. Chacun s’agite pour trouver des bottes à sa taille, aider un camarade à fermer sa combinaison étanche, enfiler son gilet de sauvetage. La grande salle, aux allures de cabine de bateau avec ses murs lambrissés et ses lampes en laiton, se transforme en vestiaire géant.
Le groupe descend vers les quatre embarcations utilisées pendant le stage. Place à la pratique ? Pas tout à fait. Les formateurs passent en revue les équipements de protection qui se trouvent à bord. Laurent insiste sur le système de lutte contre le feu. « Je n’ai jamais eu à m’en servir et j’aimerais éviter d’avoir à le faire, lance le formateur. Sur un bateau, tout va très vite. Si un feu se déclare, il peut envahir toute l’embarcation en dix minutes. Il faut réagir vite. »
Dehors, le vent ne faiblit pas. Les filins rebondissent contre les mâts dans un concert de bruits métalliques. Il fait encore froid en ce début de printemps : la pause déjeuner arrive à point nommé pour se réchauffer.
Défilé de tenues orange dans La Hune, le bar-brasserie-tabac du port, plein à craquer ce vendredi midi. Les bénévoles s’installent autour d’une grande table au milieu des habitués, accoudés au comptoir avec un demi ou penchés sur leur assiette de poulet-frites. On fait connaissance. Deux anciens militaires parlent de leurs amis communs. D’autres partagent leur amour pour la plongée sous-marine.
Biton, Taquet, Chaumard… ça vous parle ?
Une heure plus tard, retour sur les embarcations. Les instructeurs détaillent les apparaux, qui permettent l’amarrage du bateau : biton, taquet, chaumard… Il est indispensable de savoir faire des nœuds. Nœud de cabestan, nœud de chaise. Certains stagiaires « connaissent », en bon marins. « On croit les maîtriser, mais ils s’oublient vite, insiste Patrick Pauzet, autre formateur venu d’Hyères (Var). Il faut s’entraîner en permanence et être capable de les faire les yeux fermés, même en période de stress. »
Puis les élèves s’égrènent sur les différentes embarcations pour participer à divers ateliers. Lancer de touline, pour passer un bout à une autre embarcation, notamment en situation de remorquage. Fonctionnement de la motopompe, qui permet de vider la cale d’un bateau prenant l’eau. Tour à tour, les stagiaires doivent démarrer le moteur diesel piqué de petites taches de rouille. Les hommes s’en tirent bien. Au tour de Lilou, 18 ans et pas très sûre d’elle. « Ce n’est pas une question de force, assure Patrick. L’important est surtout d’avoir le bon mouvement. » Après quelques essais infructueux, la jeune femme fait la moue. Tout le groupe l’encourage, elle essaie de nouveau. Le moteur finit par crachoter. Lilou jubile.
La journée, déjà longue, n’est pas terminée. Reste à découvrir le fonctionnement du radeau de survie, qu’il vaut mieux connaître sur le bout des doigts. Pour preuve, Laurent Devavry relate la tragique histoire de deux pêcheurs, dont le bateau était en train de couler dans le golfe de Gascogne. Les marins ont attaché leur radeau à leur embarcation, mais n’ont pas coupé la longe. Le radeau a coulé avec. Bilan : deux morts. Guillaume, militaire et bénévole, est un expert de la survie en mer. De la meilleure façon de monter dans le radeau à la gestion de l’eau, en passant par les objets à ne pas oublier, il connaît tout. Pendant qu’il dispense ses conseils, un grain passe. Personne ne bouge malgré les lourdes gouttes qui perlent au bout des nez. Puis, par petits groupes, les stagiaires se mettent à l’eau. Comment s’installer dans un espace si confiné ? Trouver sa position pour ramer ? Mieux vaut l’avoir expérimenté une fois, si d’aventure il fallait le faire dans une situation critique.
Le soleil se couche sur la forêt qui enserre le port. Les bénévoles sont fatigués, il leur tarde de se coucher. Mais, ce soir, Margaux, l’une des stagiaires, fête ses 25 ans. Réunis autour d’une grande table, les sauveteurs trinquent à la santé de cette blonde aux yeux bleus venue de la station du Conquet, puis les conversations s’engagent. Fourchette à la main, Laurent Devavry raconte un épisode de sa « vie d’avant », lorsqu’il était marin au long cours. D’autres, en finissant une coupe de glace, partagent les interventions marquantes réalisées récemment par leur station. Puis c’est l’heure de se reposer : la journée suivante sera longue.
Problème de batterie
Tôt le lendemain, le ciel est bas, le vent s’est calmé. Au loin, des voiles blanches filent sur l’eau. Les bénévoles de la SNSM sont de retour dans leur salle de cours, où flotte une intense odeur de café. Ils se saluent chaudement, une tasse fumante à la main. Une journée a suffi pour délier les langues. Mais pas le temps de bavasser : les équipements doivent être inspectés avant de les enfiler en vitesse. Le cours sur les aussières – cordages utilisés pour amarrer ou remorquer un navire – va commencer.
Laurent Devavry, bonnet orange à moitié enfoncé sur le crâne, explique à l’aide d’un schéma ce que sont les pointes et les gardes. « Il faut toujours mettre les quatre lorsque l’on s’amarre », insiste-t-il. La garde arrière évite que l’embarcation recule, la garde avant qu’elle avance. Les pointes permettent de régler la distance de l’avant et de l’arrière du bateau avec le quai. Sur le papier, l’explication est claire. « Bon, bah on va le faire en vrai, maintenant », lance Laurent, un brin goguenard.
Le groupe descend sur le quai. Problème : l’un des semi-rigides ne démarre plus. Arthur, yeux clairs et barbe blonde, travaille sur un chantier naval. Agile, il ouvre la console de direction, inspecte les circuits, fait jouer les interrupteurs et déclare : « C’est la batterie ! J’en ai une neuve dans ma voiture, je vais la chercher. » Quelques minutes plus tard, le moteur hors-bord tousse, puis ronronne. La formation peut reprendre.
Le SNS 653 s’est éloigné du quai pour simuler une arrivée au port. La pluie se met à tomber. De lourdes gouttes claquent sur les casques, sans toutefois déconcentrer l’équipage. « Je n’avais jamais effectué d’amarrage à quai, indique Romain, bénévole depuis un an à la station de Locquirec (Finistère). Notre bateau est amarré en mer, à un corps mort. On n’a jamais besoin de le faire ! C’est tout l’intérêt du stage : apprendre les choses qu’on ne pratique pas régulièrement en station. »
La matinée se poursuit avec des exercices de mouillage et d’accostage. Les rayons du soleil percent par moments les nuages gris, sublimant le paysage breton. Les navires finissent par rentrer au port, ramenant des stagiaires affamés accrochés au bastingage.
Un rougail saucisse et ça repart
Rougail saucisse, tarte aux pommes et café. Il est déjà temps de regagner la chaleur de la salle commune pour parler hypothermie. « En une heure dans l’eau, une personne commence à perdre connaissance, souligne Laurent Darteyron. Si vous devez aller la chercher, vous allez mettre vingt minutes à rejoindre la station, puis il faudra vous équiper et, enfin, localiser la victime. Forcément, quand vous la trouverez, elle sera en hypothermie. » Si certains stagiaires se sentaient léthargiques après le repas et une longue matinée de travail, l’intervention du formateur au crâne brillant a de nouveau toute leur attention.
Ce n’est pas tout de retrouver un naufragé frigorifié. Il est aussi impératif de savoir le monter à bord d’une vedette de la SNSM, parfois dans une mer agitée. Trois nouveaux bénévoles font leur apparition dans la salle, vêtus de combinaisons de plongée orange et jaune fluo. Ils vont jouer les plastrons, les fausses victimes que les stagiaires devront sauver lors du prochain exercice.
Retour en mer. Quentin est aux commandes du semi-rigide. Ses yeux bleus fixés sur la victime qu’il aperçoit au loin, il met les gaz, faisant dresser la proue du bateau au-dessus du léger clapot. « Ça va, monsieur ? », crie-t-il en ralentissant à proximité du faux naufragé. « Nous sommes les Sauveteurs en Mer, nous allons vous aider. » Un plongeur se met à l’eau. Deux stagiaires l’aident à faire remonter le plastron sur le bateau. Sauvé.
Il est 20 heures et le soleil se couche derrière le sable blanc de la plage de Cap Coz. « Je commence à ressentir la fatigue », avoue Margaux. La journée est pourtant loin d’être terminée. Après une nouvelle pause, il faut repartir pour une navigation de nuit. Objectif : entraîner les stagiaires à opérer dans l’obscurité. « La nuit est propice au calme, glisse Guillaume, patron du SNS 666, tandis que son semi-rigide sort sans bruit du port. On doit tout faire plus doucement, car les choses deviennent vite plus intenses. »
Les yeux humains ont besoin de vingt minutes pour s’habituer à l’obscurité. Ce délai passé, il devient plus facile de distinguer les bouées qui jalonnent la route vers le port de Concarneau. « De nuit comme de jour, vous devez utiliser l’écran de votre GPS, mais ne jamais oublier de regarder autour de vous en même temps, conseille Guillaume. Les deux vont de pair. » Le sauveteur joint la parole au geste : s’il détermine à peu près son cap grâce à sa carte numérique, le feu d’alignement situé sur la côte lui est utile pour affiner sa position.
À ses côtés, les stagiaires parlent tout bas et observent les alentours, à la recherche d’un éventuel obstacle, baignés dans la lumière rouge d’un feu de signalisation. L’aller-retour prend environ une heure. Il est presque minuit. Fourbus, les bénévoles s’extirpent avec difficulté de leurs combinaisons étanches pour vite se glisser dans leurs draps. Demain, grasse matinée : la journée ne débutera qu’à 9 heures. « Heureusement qu’il y a le boulot pour se reposer des formations ! », plaisante Romain en massant ses trapèzes endoloris. Il est midi en ce dernier jour de stage. Les bénévoles, tous équipés, descendent des embarcations. Ils viennent de passer trois heures sur l’eau pour un exercice grandeur nature, où ils ont dû mettre en œuvre toutes les compétences acquises depuis le début du stage. Deux semi-rigides et une vedette ont servi à simuler la recherche et la récupération d’un homme à la mer. « C’était intense, lâche Lilou. On a appris tellement de choses en deux jours ! J’ai eu du mal à m’en souvenir. »
À peine le pied posé sur le quai, certains ouvrent en grand leur combinaison. Le soleil darde ses rayons sur Port-la-Forêt et fait briller les chromes des bateaux.
La fatigue se lit sur les visages. Avant de rentrer chez eux, parfois à plusieurs heures de route, les sauveteurs doivent encore faire un tour dans la salle de cours. Chacun est invité à donner son avis sur les trois jours de stage.
Certains ont adoré l’esprit de camaraderie. « Il y avait une excellente ambiance et nous avons été très bien encadrés », commence David. « Les formateurs sont disponibles et toujours dans la bienveillance, apprécie Denis. Il n’y a pas de reproches, même quand on n’arrive pas à faire un exercice. »
D’autres soulignent la richesse des enseignements. Bruno, solide quadragénaire, va « souvent sur l’eau ». Pourtant, il a « énormément appris ». « Vous repartez avec une boîte à outils, mais s’entraîner en station est primordial, conclut Claude, patron de la SNS 206 GMF-Plac’h-Dolan, de Clohars-Carnoët. C’est là qu’on prend les réflexes. » Entre les quelque 12 000 interventions effectuées chaque année par la SNSM et les 426 000 heures de formation suivies par ses bénévoles, ils auront de quoi s’exercer.
Devenir sauveteur embarqué, pas si compliqué
Prêt à vous jeter dans le grand bain du sauvetage en mer ? Pour devenir sauveteur embarqué, être âgé de 18 ans au minimum est obligatoire,
la limite étant de 66 ans révolus. Il faut également vivre assez près de la station pour pouvoir embarquer en vingt minutes maximum en cas
d’alerte. Si vous remplissez ces conditions, vous pouvez vous adresser au président de la station de sauvetage la plus proche de votre domicile,
qui vous fera débuter votre parcours d’apprentissage.
Pas envie d’embarquer ? Les stations apprécient aussi les bénévoles désireux de rejoindre l’équipage à terre : trésorier, mécanicien, organisation d’événements, ou encore vente de produits dérivés, autant de fonctions indispensables à la vie de l’association.