Incendie et arcs électriques sur un yacht de 21 mètres

Croyant partir effec­tuer un simple remorquage, l’équi­page du SNS 086 Amiral de Tour­ville, en coopé­ra­tion avec des marins-pompiers, se trouve aux prises avec une situa­tion des plus déli­cates.

Le canot tous temps "SNS 086 Amiral de Tourville" remorquant un bateau
Le canot tous temps "SNS 086 Amiral de Tourville" a remorqué le "Kraaijenest 2", un yacht de 21 mètres, pendant plus de quatre heures. © Laurent Lecanu/Marine Nationale/Défense

Surplombé par l’église Saint-Nico­las et sa massive tour carrée, le petit port de Barfleur est encore endormi quand sonnent les télé­phones des sauve­teurs, ce 23 octobre 2023. Vers 6 h 30, les deux occu­pants du Kraaije­nest 2, un navire de plai­sance battant pavillon hollan­dais, ont alerté le centre régio­nal opéra­tion­nel de surveillance et de sauve­tage (CROSS) Jobourg. Leur embar­ca­tion de 21 mètres est en avarie moteur alors qu’ils se trouvent au beau milieu de la Manche, à plus de 20 milles nautiques (40 kilo­mètres) des côtes françaises.

Faute d’un autre bateau dans les envi­rons capable de porter assis­tance, l’équi­page du SNS 086 Amiral de Tour­ville est chargé de rame­ner les passa­gers à bon port. Le canot tous temps quitte le quai à 7 h 07 pour un simple remorqua­ge… qui se trans­for­mera en inter­ven­tion de plus de huit heures.

Des marins-pompiers héli­treuillés sur le navire en détresse

Les Sauve­teurs en Mer font route dans l’obs­cu­rité depuis une heure quand leur radio crépite. Un incen­die s’est déclaré sur le Kraaije­nest 2. De la fumée se dégage du moteur tribord et ses occu­pants ne parviennent pas à couper l’ali­men­ta­tion en carbu­rant. Le CROSS prend la déci­sion de les évacuer par héli­co­ptère. Un H160, capable de voler à plus de 300 km/h, décolle de Cher­bourg. Il rejoint le navire hollan­dais quelques minutes avant les sauve­teurs. 

« On a vu les deux skippers être hélitreuillés alors que le jour se levait »
Arthur Marest
Sauveteur en Mer, patron, SNSM de Barfleur

L’im­po­sante embar­ca­tion, désor­mais vide, est ballot­tée par des vagues de près de 2 mètres. Le SNS 086 tourne autour en arro­sant la coque pour la refroi­dir. Pendant ce temps, l’hé­li­co­ptère de la Marine natio­nale a déposé les deux naufra­gés à terre. Il est de retour avec deux marins-pompiers, qui sont descen­dus sur le Kraaije­nest 2. Mais l’im­por­tant roulis et la fumée qui s’échappe des moteurs rendent l’ex­plo­ra­tion du bateau de 21 mètres diffi­cile. Les mili­taires demandent de l’aide aux Sauve­teurs en Mer pour déployer une moto­pompe et instal­ler les lances à incen­die. L’un d’eux les rejoint. « Nous étions cinq, mais il fallait que certains restent à bord en cas de problème sur le canot », précise Arthur Marest.

Le feu couve toujours quelque part, mais impos­sible d’en repé­rer l’ori­gine. Les pompiers ne réus­sissent pas à loca­li­ser l’ac­cès à la salle des machines. « Nous n’avions pas les plans du bateau, relate le patron du SNS 086. Cela a beau­coup compliqué les choses. » Il est envi­ron 10 h 30 quand deux autres marins-pompiers sont dépo­sés à bord, équi­pés notam­ment d’une caméra ther­mique. Mais le vent souffle à près de 40 km/h, le Kraaije­nest 2 est balloté par la houle et de la fumée conti­nue d’en satu­rer l’in­té­rieur.

Arthur Marest propose de trac­ter le yacht afin de le stabi­li­ser en le faisant avan­cer face aux vagues. Trente minutes plus tard, la remorque est passée. Qui plus est, les opéra­teurs du CROSS sont parve­nus à contac­ter l’ar­ma­teur du Kraaije­nest 2, qui leur a envoyé les plans du navire. Les marins-pompiers – désor­mais six – peuvent enfin loca­li­ser l’ac­cès aux moteurs. «  Il fallait entrer dans une cabine, puis dans la douche, où un panneau donnait accès aux machines », s’étonne encore Arthur Marest.

Intérieur du Kraaijenest 2
Les marins-pompiers ont long­temps cher­ché l’ac­cès à la salle des machines, qui se trou­vait dans une cabine de douche © D.R.

L’Abeille Liberté à la rescousse

Il y a bien des flammes dans la salle des moteurs, mais elles ne se propagent heureu­se­ment pas. En revanche, l’es­pace est noyé dans 40 centi­mètres d’eau. Des arcs élec­triques se forment partout car le courant n’est pas coupé. Esti­mant la situa­tion périlleuse, les marins-pompiers font marche arrière.

La situa­tion du Kraaije­nest 2 étant stable, il est décidé de le remorquer jusqu’au port Chan­te­reyne, à Cher­bourg. Il sera plus facile d’in­ter­ve­nir une fois le bateau à quai. Il est 13 heures et le SNS 086 débute un long périple à la vitesse de 5 nœuds. Il est rejoint sur sa route par l’Abeille Liberté. L’im­pres­sion­nant remorqueur de secours place ses 80 mètres de long et 16 mètres de haut au vent du convoi, lui permet­tant d’être moins soumis au mauvais temps.

Entre-temps, l’ar­ma­teur du Kraaije­nest 2 a commu­niqué au CROSS l’em­pla­ce­ment des coupe-batte­ries et l’in­cen­die dans la salle des machines a été éteint. Mais il y a toujours un risque que les condi­tions s’en­ve­niment. À l’ap­proche du port, les auto­ri­tés éloignent les autres bateaux du convoi jusqu’à ce que le SNS 086 arrive à quai, vers 17 heures, sans encombre. « Toutes les condi­tions étaient réunies pour que ça se termine mal, concède Arthur Marest. Heureu­se­ment, cela n’a pas été le cas. »

Nos sauve­­teurs sont formés et entraî­­nés pour effec­­tuer ce type de sauve­­tage. Grâce à votre soutien, vous les aidez à être présents la prochaine fois !

Équipage engagé

Canot tous temps
SNS 086 Amiral de Tourville

 

Patron : Arthur Marest
Méca­ni­cien : David Ambrois
Équi­piers : Antoine Burnel, Domi­nique Fara­gout, Patrick Léger, Philippe Lukowski

Propos recueillis par Nico­­las Sivan, publié dans le maga­­­­­­­­­­­­­­­­­­zine Sauve­­­­­­­­­­­­­­­­­­tage n°167 (1e trimestre 2024)