Par la mer, puis par la terre, les douze sauveteurs du "Léonie" au secours d’un navire en perdition

Hiver 1902. Par une effroyable tempête de nord-est, le trois-mâts carré italien « Nicolo Accame » vient talon­ner, puis couler sur les brisants face à la pointe de Trévou-Trégui­gnec. À 20 kilo­mètres du drame, les sauve­teurs de Perros-Guirec*, avec leur canot à rames « Léonie », tentent l’im­pos­sible par la mer, puis la terre, pour porter secours à vingt marins en perdi­tion. Récit par M. Le Lay, vice-président du comité de Perros-Guirec de l’époque.

Le Nicolo Accame
Les vingt marins à bord du trois-mâts carré italien de plus de 3 000 tonnes, "Nicolo Accame", ont été sauvés par les sauveteurs de Perros-Guirec © D.R.

« Le 1er février 1902, à la pointe du jour, un navire, le Nicolo Accame de Gènes, était signalé comme engagé dans les roches à la pointe de Trélé­vern, entre Perros-Guirec et Port-Blanc. Immé­dia­te­ment aver­tis, le comité SCSN** de Perros et le patron se rendent en toute hâte à la station du canot de sauve­tage, le Léonie, et se dispo­sèrent à porter secours au malheu­reux navire. La situa­tion était horrible ! » Le navire, un magni­fique trois-mâts, était effec­ti­ve­ment engagé dans les roches et sa perte totale ne pouvait plus qu’être une ques­tion d’heures.

« Il y avait donc la plus grande urgence à tenter l’ac­cos­tage pour sauver l’équi­page, dix-neuf hommes plus un pilote anglais. Mais quelle voie employer ?  » Ques­tion terrible ! D’une part, l’état atroce de la mer, la direc­tion est et la furie des vagues n’in­diquaient que trop qu’au­cun courage, aucun héroïsme n’ar­ri­ve­raient à triom­pher des éléments. D’autre part, la voie de la terre indiquait comme seul point de sortie possible, pour la mise à l’eau, Port-Blanc ; il faudrait faire 20 kilo­mètres. L’épou­van­table drame ne serait-il pas consommé ?

« En présence de cette situa­tion critique, le comité et le patron, François Briend, réso­lurent de lutter d’abord contre la mer. Le canot fut donc mis à l’eau. Pendant une heure d’an­goisse, nos douze sauve­teurs, tirant sur leurs rames, luttèrent de toute leur éner­gie. Hélas ! Vains efforts ! À peine réus­sirent-ils à avan­cer de 50 mètres. Durant cette lutte émou­vante, le comité s’était occupé de procu­rer les cinq chevaux néces­saires au trans­port par la terre. Aussi, à peine sorti de l’eau, le canot de 9,78 mètres de long, onzième d’une série construite aux chan­tiers Augus­tin Normand du Havre, était hissé sur son chariot de mise à l’eau, prêt à partir cher­cher un autre point de la côte, où Dieu lui permit d’ac­com­plir son œuvre de dévoue­ment. Ironie du sort ! Au moment où le cortège s’ébrouait, le malheu­reux trois-mâts se soule­vait dans un dernier spasme et dispa­rais­sait tout entier dans les profon­deurs de l’abîme ! Le drame était consommé ! »

Mais les hommes de son équi­page pouvaient avoir réussi à s’ac­cro­cher à des épaves. Le canot pouvait encore être utile. Ils décident donc d’al­ler par terre jusqu’à l’île Bala­nec, mais le cortège s’ébranle.

« À un endroit de la route, celle-ci était telle­ment resser­rée que le chariot ne pouvait passer. Prendre des pioches, des pics, des masses, abattre un pan de mur, enle­ver d’un fossé une énorme roche, ce fut pour les sauve­teurs, aidés par les locaux, l’af­faire d’un instant. Le canot passe, conti­nue sa route que la hâte d’ar­ri­ver fait paraître bien longue. Enfin, on arrive à Trélé­vern. Là, une heureuse nouvelle vient soula­ger les cœurs oppres­sés. Tout l’équi­page, plus le pilote anglais embarqué au départ de Londres, a pu, comme par miracle, se sauver grâce aux indi­ca­tions qui ont pu être données de terre à ses embar­ca­tions, deux balei­nières qui gagnent Port-Blanc  »

Article rédigé par M. Le Lay, vice-president du comité de Perros-Guirec et Patrick Moreau, diffusé dans le maga­zine Sauve­tage n°160 (2ème trimestre 2022)


Équi­page engagé

Patron : François Briend

Sous-patron : François Gros­sec

Cano­tiers : Louis Bodiou, Jean Boutier, Fran­cois Derrien, Louis Gallo­pel, Mathu­rin Gros­sec, Pierre Le Gac, Yves Le Goff, Yves Le Vot, Pierre Minous, Louis Mullaert.

 

** SCSN, Société centrale de sauve­tage des naufra­gés, l’une des compo­santes histo­riques de l’ac­tuelle SNSM