15 septembre 2021. Les plages ne sont plus surveillées à Agde, comme dans bien des communes touristiques. La mer est mauvaise. Vent force 6. Vagues de 1,25 à 2,5 mètres. Pourtant, les baigneurs ne résistent pas à la tentation et les alertes se multiplient. 14 h 14, le CROSS Méditerranée demande à la vedette de la station d’Agde d’aller inspecter la côte vers Marseillan en longeant le bord à 300 mètres des plages. Un témoin pense avoir vu deux ou trois personnes en difficulté. 14 h 37, l’équipage a rallié le bord. La SNS 211 Terrisse commence son inspection. Elle ne trouve personne : ces témoignages imprécis sont souvent de fausses alertes. Au bout d’une heure de cet exercice, la vedette est surprise et couchée par une déferlante. Près d’une côte plate, les fonds remontent, faisant briser les vagues. Heureusement, elle se redresse. 15 h 45, sagement, elle n’insiste pas, demande au CROSS sa liberté de manœuvre et rentre au port. Pas question de mettre plus longtemps en danger huit sauveteurs bénévoles pour d’hypothétiques victimes.
Vous aussi, sachez renoncer
« L’art de savoir ne pas y aller » était le titre de notre dossier sur la météo (n° 143 de SAUVETAGE, p 16). Ne pas sortir « pour voir » quand le temps est mauvais. On risque de se mettre en danger s’il faut revenir au port. Ne pas sortir « quand même » parce qu’il faut ramener le bateau. Ne pas partir à la pêche à pied parce que les coefficients de marée sont élevés alors que le brouillard menace. Et même ne pas se jeter à l’eau pour sauver quelqu’un si l’on ne se sent pas vraiment capable de le tirer d’affaire et de revenir.
Cinq jours plus tard, la commission sécurité de la SNSM tient sa troisième réunion au Pôle de formation de Saint-Nazaire. Cette commission est une nouveauté. Sa première séance a eu lieu en mars. Elle rassemble des patrons expérimentés, des présidents de station, des inspecteurs, des formateurs. Tous les détails de ce qu’il s’est passé à Agde ne sont pas encore connus, mais, déjà, la prudence du patron est saluée.
La SNSM s’est toujours souciée de la sécurité de ses sauveteurs. Depuis quelque temps, elle s’en préoccupe encore plus. L’époque change : on est moins fataliste devant les accidents. La population des sauveteurs n’est plus la même : la proportion de marins professionnels diminue d’année en année et les nouveaux bénévoles doivent être formés. Ils apprennent à sauver les autres, mais aussi à se protéger. Et puis le souvenir des Sables d’Olonne est toujours là – trois sauveteurs morts après le chavirage de leur canot, le 7 juin 2019 – et les questions qui l’accompagnent.
Les sauveteurs peuvent-il refuser d’aller en mer pour une intervention ?
Ce fatal jour de juin, les sept hommes formant l’équipage du vieux canot tous temps Patron Jack Morisseau voyaient, depuis l’avant-port des Sables où ils s’étaient prépositionnés, que les passes étaient à la limite de l’impraticable. Leurs chances de retrouver le petit bateau, dont la balise satellite venait de se déclencher, et le pêcheur qui était à bord, tout seul, étaient infimes (mer trop grosse empêchant de voir, localisation de la balise trop imprécise). Pourtant, quand le CROSS – le centre qui reçoit les alertes et gère les sauvetages – a demandé au canot d’intervenir, personne à bord n’a évoqué la possibilité de refuser. La solidarité entre marins est le fondement du sauvetage en mer depuis ses origines. Entre pêcheurs, c’est une évidence. Pouvaient-ils, devaient-ils rester au port ? Pour réfléchir à cette question fondamentale que d’autres équipages devront se poser dans l’avenir, un groupe de travail a été mis en place, réunissant, comme toujours à la SNSM, des représentants des stations qui vivent ces situations quotidiennement.
L’objectif est de rédiger un document qui « aide à la décision » du patron qui commandera ce jour-là. Il ne s’agit en aucun cas de lui dicter quoi que ce soit, mais simplement de partager un rappel des quatre questions à se poser avant de partir (voir iconographie) : Quelle est la mission (recherche, remorquage, urgence) et est-elle claire ? Quelles sont les conditions (météo, jour ou nuit, au large, près des cailloux) ? Quel est l’équipage ce jour-là (très ou moins expérimenté) ? Quel est le moyen (dimensions et âge du navire) ? « Moi, je rappelle régulièrement à nos équipages que notre canot est vieillissant », indique l’un des participants à la commission sécurité. Le simple fait que ces questions soient posées et débattues officiellement libère la réflexion et la parole.
Se dégage notamment l’idée que, même si les sauveteurs bénévoles sont sous le contrôle de l’autorité de l’État par l’intermédiaire des CROSS quand ils sont en opérations, il n’est pas interdit de poser des questions et de dialoguer avec le CROSS quand la mission semble risquée. D’autant que le centre de coordination peut mettre en action d’autres moyens (avions, hélicoptères, moyens d’autres stations de la SNSM) si, après discussion rapide, la première idée ne semble pas la meilleure.
Qui doit prendre la décision finale sur le canot ? Le patron de sortie commandant à bord ce jour-là. Tout seul ? « Il peut consulter les plus expérimentés de l’équipage, les sages », suggère Bruno Claquin, président de la commission sécurité et de la station SNSM de la Baie d’Audierne.
Autour de lui, tout le monde semble d’accord sur la nécessité, parfois, d’un temps de réflexion et d’échange, mais les craintes exprimées sont multiples. « Il y en a qui ne voudront pas passer pour des peureux vis-à-vis des plus jeunes de l’équipage qui, eux, voudront y aller. » Pire, comment affronter les regards en ville s’il y a eu des victimes dont les familles connaissent bien les sauveteurs ayant estimé ne pas devoir prendre le risque ? Bruno Claquin, ancien pêcheur lui-même, imagine les difficultés. « En tout cas, si une telle décision est prise, il faut un soutien inconditionnel de la station et du siège de la SNSM », souligne-t-il.
De nouveaux bateaux de sauvetage plus sûrs
Le canot accidenté aux Sables d’Olonne portait l’appellation « tous temps », mais il était vieux. Même bien entretenus, au bout de trente ans et plus, ces bateaux fatiguent. Or, la flotte de la SNSM a beaucoup vécu, notamment les plus grosses unités. C’est pourquoi l’association a lancé un plan massif de renouvellement de la flotte. De bons bateaux et de bons équipements sont la base de la sécurité des sauveteurs. Pas seulement celle des sauveteurs embarqués, ceux qui partent au large. Les nageurs sauveteurs, ceux qui surveillent les plages l’été, utilisent de plus en plus de moyens nautiques qui font partie de la nouvelle flotte de la SNSM : grands pneumatiques semi-rigides, petits pneumatiques IRB (inflatable rescue boats) et véhicules nautiques à moteur ou Jet-Ski® . Voir le dossier dédié à la nouvelle flotte p 16 du n° 144 de Sauvetage.
Comme beaucoup d’activités industrielles en ce moment, ce programme, dont la maîtrise d’œuvre d’ensemble est assurée par la société Couach, a subi quelques problèmes d’approvisionnement et a dérivé de quelques semaines, ce qui ne l’empêche pas de se concrétiser, au bout de 5 années d’études préparatoires et de développement. Plusieurs navires « têtes de série » sont en phase d’essais. Après réglage de tous les détails, les cadences vont augmenter très vite : huit NSH1, les plus gros navires hauturiers de 17,5 m, devraient être commandés en un an, remplaçant huit bateaux, dont la moyenne d’ancienneté est de presque 30 ans, dans autant de stations.
La conception de cette nouvelle flotte, longuement discutée par les architectes du chantier et des représentants de la SNSM – associant la direction de programme à une large sélection de bénévoles, futurs usagers –, a été dominée par des préoccupations de sécurité, certaines classiques, certaines plus nouvelles.
Comme certains de ses prédécesseurs, un navire de sauvetage hauturier doit pouvoir se redresser après chavirage complet (voir photo), la cabine servant alors de volume de flottabilité instable qui force le bateau à revenir à l’endroit. (C’est ce qui ne fonctionnait plus, lorsque l’eau est rentrée, après le bris des vitrages pour le canot des Sables d’Olonne quand il a chaviré). Les grands semi-rigides peuvent aussi se redresser grâce à un système de ballons gonflables sur un portique. Les canots sont insubmersibles, grâce à des cloisons étanches. « Même avec deux compartiments envahis, le pont reste hors de l’eau », souligne Fréderic Neuman, l’architecte des navires.
Gérard Rivoal, le responsable de ce programme à la SNSM, et tous les bénévoles associés aux études, ont beaucoup réfléchi à l’adaptation des bateaux aux usages en fonction des retours des utilisateurs. L’amélioration de la sécurité a changé la silhouette des bateaux.
Si l’on regarde une photo de profil du premier NSH1 avec sa nouvelle « livrée Starck », on remarque que la timonerie (la cabine) est la plus avancée possible. On a voulu dégager la plage arrière où se concentreront les manœuvres (remorquage, recueil de naufragés, hélitreuillage), un peu plus à l’abri des vagues et du vent quand le canot se met face à la mer. D’autre part, cet arrière est plus bas, donc plus proche de l’eau que sur les générations de canots précédentes. Il est prolongé par une « écope », sorte de grille relevable qui descend au ras de l’eau. Tout ceci est destiné à faciliter la mise à l’eau des nageurs de bord et la remontée des victimes à l’horizontal, notamment si elles sont dans une civière flottante, sans que les membres de l’équipage qui restent à bord aient à décrocher leur longe de sécurité.
L’architecte souligne aussi que la hauteur de l’étrave au-dessus de l’eau, la largeur du bateau à l’avant et le fait que la timonerie soit surélevée par rapport au pont devraient beaucoup limiter les chocs directs de paquets de mer sur la timonerie (équipée de vitrages performants dont certains atteignent 15,5 mm d’épaisseur collés sur la structure).
L’organisation des nouveaux bateaux traduit aussi les nouvelles recommandations portant sur les pratiques de sauvetage les plus sûres, qui sont suggérées mais pas imposées aux stations. L’utilisation de la petite annexe du navire n’est plus encouragée en opération de sauvetage car jugée trop dangereuse (grand sujet de débat avec certains utilisateurs) : soit le canot peut s’approcher du bateau en danger pour débarquer des sauveteurs ou embarquer des naufragés, grâce à ses impressionnantes « bourlingues » en caoutchouc noir qui ceinturent la coque et protègent des chocs ; soit des nageurs en tenue adaptée sont mis à l’eau (pour tenter d’approcher un bateau dans des petits fonds ou sur des cailloux) ; soit la station dispose d’un autre moyen, un pneumatique semi-rigide, avec son propre équipage, très manœuvrant, avec peu de tirant d’eau, pour assister le sauvetage – passer une remorque, par exemple –, ce qui est de plus en plus le cas pour les stations les plus importantes.
Au-delà de la conception, la construction et son contrôle participent évidemment à la sécurité des équipages. Tous les détails de construction ont été étudiés minutieusement au chantier Couach, où on a l’impression qu’autant de monde se trouve au bureau d’études devant des écrans d’ordinateurs que dans les ateliers de production. Chaque pièce de tissu renforçant la coque arrive au chantier prédécoupée et tombe exactement à sa place. On croise une personne portant une tenue de travail d’une couleur différente ? C’est un représentant du Bureau Veritas, organisme de contrôle extérieur au chantier qui vient vérifier la qualité non pas après la production mais pendant, les navires étant classés. Là où vis et boulons nécessitaient des trous et des joints qui pouvaient mal vieillir, les colles modernes sont reines pour tout assembler. Un rayonnage entier est plein de tronçons des « bourlingues » déjà évoquées, dont on a étudié l’adhérence à la coque selon la manière dont la colle est étalée. À chaque visite de chantier, les représentants de la station de Noirmoutier, qui recevra le premier NSH1, sont impressionnés par cette recherche permanente de qualité.
Des équipements à la hauteur
Les sauveteurs sortent bénévolement 365 jours par an, 24 heures sur 24. C’est bien la moindre des choses, qu’ils bénéficient d’équipements qui les protègent et soient confortables. La direction des achats, sous la responsabilité de Benjamin Serfati, s’est progressivement transformée en un vrai bureau d’études interne. Chaque nouvel équipement est conçu sur la base des critiques de l’existant, de tout ce qui est disponible sur le marché et de multiples tests en situation réelle dans les stations. Voir dossier dans Sauvetage n° 151, p 17.
Le souci du confort est également une priorité. Un équipement de sécurité efficace est un équipement porté. Les sauveteurs ont longtemps boudé une génération de gilets gonflables très efficaces, mais très inconfortables. Toute leur panoplie a été changée ou est en cours de changement : pantalons, vestes de quart, bottes, gilets, longes (auxquels il faut ajouter casques, gants et sous-vêtements chauds divers). Des semelles et renforts des bottes aux dispositifs lumineux sur les vestes et gilets la nuit, le souci de sécurité est partout.
Il manquait encore un petit objet de sécurité précieux, dont la place est prévue sur les gilets : une balise individuelle de localisation. Les sauveteurs ne s’étaient pas encore autorisé ce « luxe », qui n’en est pas un. Normalement, on ne tombe pas d’un bateau de sauvetage. Normalement, si l’on tombe, on est tout de suite repêché. Mais les marins savent bien que l’imprévu arrive. Grâce au soutien de TotalEnergies, grand partenaire de la SNSM, la généralisation des balises individuelles est en cours.
La SNSM s’intéressait au sujet depuis plusieurs années. « Nous n’étions pas entièrement convaincus par les systèmes développés en exclusivité par une entreprise susceptible de disparaître », explique le directeur des achats. C’est pourquoi la SNSM a opté pour le système désormais le plus répandu : la balise AIS (système d’identification automatique). De plus en plus de bateaux, notamment professionnels, et les canots de sauvetage sont équipés d’émetteurs et récepteurs qui permettent de repérer les autres et d’être repérés facilement sur un écran, donnant rapidement direction, distance, cap, tout ceci grâce aux ondes radio VHF du système AIS. Si une balise individuelle est déclenchée par le gonflage du gilet de sauvetage d’un équipier tombé à la mer, le signal MOB (man over board) s’affiche immédiatement sur l’écran du bord. Précaution supplémentaire, la SNSM a opté pour le système AIS plus ASN (appel sélectif numérique), en voie de généralisation. Si, au bout de douze minutes, l’homme à la mer n’a pas été récupéré par son bateau, l’alerte est diffusée à toutes les radios VHF ASN en veille à proximité. De plus, il s’agit de la version professionnelle AIS ASN de classe M. L’ensemble doit être plus résistant et comporter aussi une fonction de retour, qui permet de rassurer l’homme à la mer en l’informant que l’alerte a été reçue. Dernière contrainte, et pas des moindres : la SNSM souhaitait que la balise soit la plus discrète possible. Elle aura un encombrement de 115 mm sur 40 d’épaisseur et 22 de large (voir photo) et pèsera 95 grammes ! Un record obtenu par à la société française Syrlinks (balises Simy), qui miniaturise ces équipements grâce à son expérience dans le domaine spatial.
Vous aussi, profitez des équipements de sécurité SNSM
La balise de localisation conçue pour les sauveteurs devrait être accessible bientôt à tous les marins, malgré un léger retard causé par les pénuries de composants, communes à beaucoup d’industries. Si vous êtes pressé de vous équiper, plusieurs balises AIS existent déjà sur le marché. La nouvelle longe de sécurité, mise au point après une rupture accidentelle sur la génération précédente, est déjà accessible (marque Plastimo). Nouvelle étape, le service d’achats et d’études de la SNSM apporte son expertise à la marque Tribord (Decathlon) pour la mise au point d’équipements de sécurité dans la pratique d’activités nautiques. Première production : un gilet gonflable testé et retesté en tenue de mer (et pas en maillot de bain) pour qu’il soit bien capable de retourner, visage hors de l’eau, une personne tombée inconsciente à l’eau. Et, bien sûr, le bracelet étanche DIAL est toujours disponible à la boutique de la SNSM pour sécuriser tous les pratiquants de sports nautiques proches de la côte : www.laboutique.snsm.org / rubrique Navigation.
La sécurité, c’est une routine
Les bons bateaux et les bons équipements ne suffisent pas. Il faut qu’ils soient bien utilisés, que des routines sécurité s’installent.
Désormais, à la SNSM, aucun nouveau navire ne doit arriver dans une station sans que l’équipage bénéficie d’une formation « prise en main », très axée sur la sécurité du matériel et des hommes. La première étape de cette formation est conçue par le chantier Couach et fait partie intégrante de ses prestations. Elle utilise à fond les possibilités du e-learning (formation en ligne). L’autre est la prise en main opérationnelle, très concrète, en présentiel, sous la responsabilité de Thomas Colin, qui veille par ailleurs, avec son équipe, sur la flotte que le Pôle national de formation se fait un devoir de toujours présenter dans un état exemplaire aux bénévoles venant suivre une formation. Dès leur première sortie d’entraînement avec leur nouveau canot, il faut que les équipages adaptent leurs pratiques et connaissent leur navire sur le bout des doigts pour être rapidement opérationnels. Qu’ils sachent ce qui a changé de place, ce qui fonctionne différemment, connaissent les alarmes qui peuvent se déclencher, etc. Il leur restera toujours assez d’imprévus à découvrir par eux-mêmes.
La bonne utilisation du bateau et des équipements suppose aussi le respect d’une liste de précautions que l’on se répète à chaque fois. La routine sécurité. Pour aider patrons et équipiers à n’en oublier aucune, Thomas a rédigé, avec un groupe de bénévoles, une série de fiches de recommandations opérationnelles, qui seront à la disposition de tout le monde. Quelques points en cas d’hélitreuillage, par exemple : de nuit, il faut éclairer la zone de treuillage sur le pont mais ne jamais éclairer l’hélicoptère pour ne pas aveugler le pilote, également amarrer tout ce qui pourrait s’envoler, ne pas laisser plus de deux équipiers sur le pont, ne pas toucher le plongeur qui descend de l’hélicoptère avant que la tresse de masse soit entrée en contact avec le bateau (pour éviter les risques électriques créés par l’électricité statique accumulée pendant le vol), ne rien amarrer au bateau (l’hélicoptère doit conserver toute sa liberté de manœuvre).
Chacune de ces fiches commence par un rappel des équipements à porter systématiquement : EPI (équipement de protection individuelle), VFI (vêtement à flottabilité intégrée ou vêtement de flottaison individuel), autrement dit gilet gonflable sur le canot, plus les gants et le casque. Pourquoi un rappel systématique ? Parce que, même chez les sauveteurs, il faut y revenir et parfois insister lourdement. Bruno Claquin, comme beaucoup de présidents, tient à ce que les gilets soient portés bien visibles dès le départ du canot et jusqu’à son retour à terre. La tendance naturelle de certains sauveteurs, comme de nous tous, est de ne les enfiler qu’à la sortie du port et de commencer à les enlever en entrant au port. L’expérience montre que beaucoup d’accidents d’annexes se produisent, déjà évoqués, ainsi qu’entre le bord et le quai, notamment chez les pêcheurs. Enfin, surtout les sauveteurs doivent donner l’exemple à tous les autres ! Il faut donc porter le gilet même lorsqu’il a l’air inutile.
Non seulement les équipements doivent être portés, mais ils doivent aussi être adaptés à la situation. Didier Moreau, directeur de la formation, insiste beaucoup sur ce point. Maintenant que les stations disposent de plus en plus souvent d’un semi-rigide en plus de leur autre navire, il ne faut pas que les équipiers y embarquent avec la même tenue. Pour la navigation sur les semi-rigides, les équipiers doivent disposer d’une combinaison sèche qui devient combinaison de survie dans l’eau, et d’un gilet en mousse particulier qui les protège des chocs et complète leur flottabilité s’ils sont à l’eau, mais pas trop ! En effet, les puissants gilets gonflables dont disposent les équipiers sur les canots pourraient les coincer sous le bateau en cas de retournement du pneumatique.
Une étude est par ailleurs en cours pour proposer un gilet particulier (bien identifié par une couleur et des inscriptions différentes) pour ceux qui restent presque tout le temps à l’intérieur de la timonerie, barreur et radio navigateur notamment. Il serait à déclenchement manuel pour qu’ils ne puissent pas être gênés par un gilet gonflé automatiquement alors qu’ils devraient sortir en urgence de l’intérieur du bateau.
La sécurité, c’est une culture
On l’aura compris dès le début de ce dossier, l’attention permanente à la sécurité des sauveteurs prévaut au sein de toute l’organisation. Cette priorité commune à tous – directions, mais aussi présidents ou directeurs, patrons et équipiers – est fondée sur l’anticipation mais aussi sur les RETEX, autrement dit les retours d’expérience à la suite d’accidents ou de presque accidents, qui font qu’un sauvetage s’est mal terminé pour le matériel, des sauveteurs (blessures ou pire) ou des personnes secourues. L’un des quatre inspecteurs généraux, Sylvain Moynault, y consacre une partie de son temps, ainsi que Yann Stéphan, adjoint aux inspecteurs. Ils sont alimentés spontanément par la boîte e-mail réservée aux RETEX, ou bien vont solliciter les explications eux-mêmes, rappelant le message de base indispensable pour que l’information circule : on ne cherche pas des coupables ni à juger, on cherche à faire profiter tout le monde d’une expérience.
L’événement est décortiqué, discuté, y compris en commission de sécurité, et il donne lieu à une série de recommandations pratiques. Exemple : une vedette heurte une balise en partant pour une intervention urgente de nuit. C’est l’occasion d’analyser cette période d’entre-deux où l’on est encore en train de s’équiper et de s’organiser alors que le navire est déjà en route. Pour bien marquer l’importance que la SNSM accorde à cette nouvelle pratique, l’inspecteur en charge présente, à chaque assemblée générale annuelle, les RETEX de l’année les plus riches d’enseignements et leurs conclusions.
De même, Bruno Claquin étant membre du conseil d’administration de l’association – comme tous les présidents de commission –, il est susceptible d’attirer l’attention du président national et des autres membres du conseil sur toutes les questions soulevées à la commission de sécurité. Celles-ci émergent parfois entre les lignes de l’ordre du jour. C’est l’intérêt des réunions vivantes. Ainsi, à la dernière réunion de la commission, apparaît soudain, à la faveur d’une intervention, la question de la fatigue, qui peut être cause d’insécurité. La moyenne des opérations n’est pas très longue (2 heures 19 minutes en 2020 pour les plus gros bateaux). Mais certaines peuvent s’éterniser (longues recherches, long remorquage). Les sauveteurs sont à la fois des marins comme les autres et des marins à part aux yeux de la réglementation : aucune durée limite de travail ne s’applique à eux. Mais la question de la sécurité des sauveteurs ne concerne pas uniquement la SNSM. En effet, les sauveteurs bénévoles sont très souvent des actifs qui peuvent avoir à reprendre le travail après leurs interventions, de jour comme de nuit.
Vous aussi, révisez vos routines de sécurité
Un exemple, l’homme à la mer, qui reste la principale cause d’accidents graves. La liste est la même pour vous et pour les sauveteurs : garder permanent le contact visuel, appuyer sur la touche MOB s’il y a un dispositif à bord et/ou sur l’équipier (balise de localisation), jeter à la mer un élément de repérage (lumineux, de préférence) et de flottabilité, bouée ou autres. Si la situation se complique (vous ne voyez plus la victime), alertez vite le CROSS, par radio de préférence.
Pensez à la « sous-cutale »
Le président de la commission sécurité de la SNSM compte bien s’intéresser à des actions de prévention destinées à tous les marins, comme il en a déjà organisé avec le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins. Il voudrait notamment diffuser une petite vidéo montrant ce qu’il se produit en cas de déclenchement d’un gilet gonflable dont on n’a pas attaché la « sous-cutale », la petite sangle qui passe entre les jambes. Le gilet se gonfle et monte au niveau de la tête au lieu d’être maintenu au niveau du buste ! Hélas, cette petite sangle de rien du tout ne semble pas faire partie des équipements systématiquement prévus par la réglementation. Elle est donc souvent vendue à part, pour quelques euros ! Ne faites pas une économie de bouts de chandelle et, surtout, veillez à ce que vos équipiers l’utilisent.
Vous aussi, méfiez-vous des annexes
Monter dans une annexe, traverser à plusieurs sur une minuscule embarcation au ras de l’eau, monter de là sur le bateau… Ces situations dangereuses causent beaucoup d’accidents, notamment si l’on est âgé, seul ou trop nombreux et que l’eau est froide. Portez des gilets gonflables autant que possible et gardez à portée de main de quoi vous signaler la nuit. Ne surchargez pas les annexes. Évitez les sacs à dos. Méfiez-vous des changements de météo et de la nuit.
Article rédigé par Jean-Claude Hazera, diffusé dans le magazine Sauvetage n°158 (3e trimestre 2021)