« La victime ne respire plus, je me lance dans une réanimation »

Le 9 août, un homme de 78 ans fait un malaise dans l’eau devant la plage de Saint-Gous­tan, au Croi­sic  (Loire-Atlan­tique). Angèle Gois, nageuse sauve­teuse de 25 ans char­gée de surveiller la baignade, se jette à l’eau. Elle vous raconte la suite dans un texte à la première personne. Le récit rare d’une inter­ven­tion excep­tion­nelle dans la carrière d’un sauve­teur.

Angèle Gois
Angèle Gois est allée au secours d’un homme en arrêt cardio-respiratoire cet été au Croisic © D. R.

En surveillance au bord de l’eau depuis cinq minutes, je vois un homme nager bizar­re­ment, une sorte de crawl sur le côté. Cela m’in­ter­pelle, mais ses bras tournent norma­le­ment et je n’ob­serve aucun signe de détresse ni de panique. De plus, il conti­nue à nager paral­lè­le­ment à la côte et ne revient pas vers la plage. Je garde tout de même une atten­tion accrue afin d’être sûre que sa tête reste suffi­sam­ment hors de l’eau, tout en me déplaçant en même temps que lui.

Bien m’en prend, car, quelques secondes après, le rythme de ses bras dimi­nue, puis le nageur se retourne sur le ventre. En quelques milli­se­condes, je réalise qu’il est incons­cient et qu’il risque la noyade. Inté­rieu­re­ment, je me dis : « Là, il faut que j’y aille !  » J’alerte par radio mon collègue, Baptiste Guillau­mie, et je me préci­pite dans l’eau en tee-shirt et en casquette, avec mon rescue tube [NDLR : bouée de sauve­tage en mousse].

Je suis telle­ment concen­trée que le temps semble s’être arrêté. Après un sprint d’une quin­zaine de mètres, je saisis la personne et garde sa tête contre moi à la surface. Elle est toujours inani­mée. Je la sors de l’eau et, avec l’ap­pui de témoins, la remonte sur le sable. Une dame me propose son assis­tance et je lui demande d’ap­pe­ler le SAMU immé­dia­te­ment. Après avoir constaté que la victime ne respire plus, je me lance dans une réani­ma­tion, aidée par une femme méde­cin présente sur les lieux. Un autre témoin tient la tête de la victime.

À chaque fois que j’ap­puie sur la cage thora­cique de l’homme, de l’eau s’échappe en grande quan­tité de sa bouche. Mais je ne me réjouis pas, car je sais qu’il a besoin d’oxy­gène. Heureu­se­ment, malgré une radio défec­tueuse, Baptiste a saisi l’ur­gence de mon message. Il affale immé­dia­te­ment le drapeau – ce qui signale l’ar­rêt de la surveillance –, puis me rejoint avec le maté­riel adéquat. Lorsqu’il arrive, nous posons le défi­bril­la­teur sur la victime. L’ap­pa­reil nous indique qu’un choc élec­trique n’est pas néces­saire. Nous conti­nuons donc le massage cardiaque. Quelques minutes après, soula­ge­ment : la victime recom­mence à respi­rer par elle-même ! J’ar­rête le massage.

Sa femme est à côté, sidé­rée

Mais le taux en oxygène dans le sang est toujours très bas. Nous conti­nuons à l’oxy­gé­ner avec l’aide des pompiers venus en renfort. Nous l’en­ten­dons à présent geindre. Petit à petit, je comprends que la situa­tion s’amé­liore. Cela nous motive, nous encou­ra­geons l’homme au maxi­mum en espé­rant qu’il reprenne connais­sance. Sa femme est à côté, sidé­rée. Elle ne réalise pas ce qu’il se passe. Je la rassure en lui indiquant que son mari semble se réta­blir, même si je sais que le pronos­tic vital est proba­ble­ment toujours engagé.

Lorsque le SMUR – équipe mobile du SAMU – arrive, nous enten­dons la victime marmon­ner quelque chose. Puis elle revient suffi­sam­ment à elle pour nous parler. Elle répond à nos ques­tions ! Je manque de m’ef­fon­drer de soula­ge­ment et de joie, mais l’adré­na­line fait que je reste concen­trée. Des gendarmes et mon collègue ont écarté la foule, ce qui permet au véhi­cule tout terrain des pompiers de nous rejoindre malgré le sable mou. L’homme est ensuite trans­féré dans une ambu­lance, puis conduit dans un service réani­ma­tion.

Il est rare de vivre ce genre d'heureux dénouement
Angèle Gois
Nageuse sauveteuse SNSM en surveillance plage au Croisic

Immense soula­ge­ment. Mais je ne réalise pas l’am­pleur de l’évé­ne­ment, il est encore trop tôt. Le surlen­de­main, presque comme si de rien n’était, je reprends mon rôle de cheffe de poste et recom­mence à surveiller la baignade, avec un senti­ment étrange. Les jours suivants, des gens viennent nous féli­ci­ter, la maire de la commune du Croi­sic notam­ment. Et après quelques mois, la femme de la victime m’ap­prend que son époux est fina­le­ment sorti de l’hô­pi­tal et qu’il se remet peu à peu à ses acti­vi­tés.

Je tiens à mettre en avant la belle coor­di­na­tion entre les diffé­rents corps de métiers : pompiers, SAMU, gendarmes, poli­ciers et témoins qui ont permis une prise en charge effi­cace. Entre nous, il est rare de vivre ce genre d’heu­reux dénoue­ment après un arrêt cardio-respi­ra­toire. Je pense que la clef, dans ce sauve­tage, a été la réac­ti­vité et la rapi­dité à agir de la part de tous les inter­ve­nants. Nous avons égale­ment béné­fi­cié d’un facteur chance, je crois que les planètes étaient alignées ce jour-là !

Récit d’An­gèle Gois, paru dans le maga­­­­zine Sauve­­­­tage n°162 (4ème trimestre 2022)

Retrouvez le récit d'Angèle en podcast !

Canal 16, la radio des Sauve­­teurs en Mer donne la parole à celles et ceux qui font la SNSM ! La série de podcasts s’in­­té­­resse à des sauve­­tages et met en lumière des sauve­­teurs et des personnes secou­­rues. Homme à la mer, acci­dent, tempête, noya­­de… Canal 16 nous raconte certains sauve­­tages parmi les plus spec­­ta­­cu­­laires de la SNSM. Porté par la voix de sauve­­teurs ou de resca­­pés, chaque épisode de la série est une aven­­ture palpi­­tante et une leçon inspi­­rante sur les pièges et les dangers de la mer.