Feu à bord ! Les conseils des Sauveteurs en Mer pour l'éviter

Les incen­dies font souvent des ravages sur les bateaux. Décou­vrez dans ce dossier les ensei­gne­ments et les conseils des Sauve­teurs en Mer afin de les éviter.

Bateau en feu
© Loïc Lacorne

Le feu à bord ne fait pas partie des acci­dents les plus fréquents de la plai­sance et de la pêche, contrai­re­ment aux pannes méca­niques, aux échoue­ments ou à l’homme à la mer. La marine marchande est plus fami­lière de ce risque. Xavier Perret, désor­mais ingé­nieur d’ar­me­ment de la nouvelle flotte des Sauve­teurs en Mer, évoque comme une bana­lité les six départs de feu qu’il a vécus en vingt ans de carrière.

Parmi les rapports rédi­gés par les Sauve­teurs en Mer recueillis entre le 4 octobre 2022 au 4 février 2023, on compte quatorze inter­ven­tions de ce type. Ce n’est pas rien, mais, dans le même temps, il y a eu 780 inter­ven­tions !

Comme les incen­dies ne sont pas très fréquents, on a tendance à oublier combien ils sont graves. Qui se souvient que la France a perdu, le 9 juillet 1970, à 50 ans, un des hommes poli­tiques les plus brillants de sa géné­ra­tion, Félix Gaillard, mort avec trois autres personnes dans l’in­cen­die de son voilier ? Qui n’a pas oublié ce couple de plai­san­ciers décé­dés à cause des flammes dans leur bateau à quai le 19 décembre dernier à Cher­bourg ? Pour se préser­ver de ces situa­tions qui peuvent vite s’avé­rer drama­tiques, le mieux est d’évi­ter les départs de feu. Nous vous propo­sons d’en étudier les causes les plus courantes.

Des incidents rares

En 2022, les centre régio­naux opéra­tion­nels de surveillance et de sauve­tage en mer (CROSS) - ont coor­donné 92 opéra­tions dont l’ori­gine était un incen­die ou une explo­sion, impliquant 269 personnes, dont neuf bles­sées et deux décé­dées. On comp­tait plutôt une soixan­taine d’opé­ra­tions par an voici dix ans.

L’es­sence reste le grand ennemi des départs de feu sur un bateau

Le problème du carbu­rant essence des moteurs hors-bord, mais aussi de certains inboard de vedettes, est simple : il suffit d’une petite quan­tité qui se vapo­rise dans un espace clos ou peu aéré pour créer un mélange déto­nant à la moindre étin­celle. Parmi les précieux rapports du Bureau d’enquêtes sur les événe­ments en mer (BEAmer), on trouve celui sur l’ex­plo­sion et l’in­cen­die du Foly, le 28 août 2021, devant le poste d’avi­taille­ment en essence du port Saint-Pierre de Hyères (Var). Un couple, leur fille de 14 ans et leur chien sont à bord. Fin de mati­née, il fait chaud. Le Foly est une petite vedette de 8,30 mètres avec deux gros moteurs inboard, raison­na­ble­ment entre­te­nue mais pas toute jeune : elle a 18 ans. Sur un bateau de cet âge, sortant peu, souvent stocké à terre sous le soleil, « les risques de dété­rio­ra­tion des durites, tuyaux souples, joints divers du circuit d’es­sence sont réels », notent les experts du BEAmer. Réels et pas faciles à repé­rer.

Ce jour-là, il y avait une petite odeur d’es­sence après l’avi­taille­ment. Sans doute liée aux autres bateaux qui atten­daient la place, ont dû se dire les proprié­taires. Grâce aux camé­ras de surveillance, le minu­tage de l’ac­ci­dent est ultra­pré­cis. 11 h 33 et 9 secondes : le proprié­taire redé­marre le moteur bâbord, qui a calé. Explo­sion dans le compar­ti­ment moteur. 11 h 44 et 48 secondes : des flammes, impos­sibles à maîtri­ser, s’échappent du bateau. La vedette des pompiers arri­vera à le remorquer à l’ex­té­rieur du port, où ce qu’il en reste coulera. Entre-temps, l’ado­les­cente a sauté sur le quai, l’épouse, brûlée aux jambes, s’est jetée à l’eau et le proprié­taire a lancé son chien dans la mer avant d’y plon­ger lui-même.

Les acci­dents dus à l’es­sence se répètent été après été. Le BEAmer renvoie à trois autres rapports du même type.

Nos conseils pour éviter les départs de feu liés à l’es­sence

Évitez l’es­sence, si vous le pouvez. La moto­ri­sa­tion diesel ne présente pas le même risque.

Connais­sez et surveillez votre circuit d’es­sence et son éven­tuelle proxi­mité avec un circuit ou appa­reil élec­trique. Concer­nant par exemple les grands semi-rigides, la qualité de l’em­bar­ca­tion et sa sécu­rité ne dépendent pas seule­ment du choix de la coque et du moteur, mais aussi de la préci­sion du montage de tous les circuits enfer­més sous les plan­chers. Le BEAmer décrit un autre acci­dent, qui se termine bien, en juin 2018, sur un grand semi-rigide de 10 mètres bien entre­tenu, emme­nant des passa­gers dans le port de Porto, en Corse. L’ex­plo­sion a été provoquée par une étin­celle du propul­seur d’étrave élec­trique dans un compar­ti­ment où passait une durite d’es­sence très légè­re­ment fissu­rée.

Au moindre doute, à la moindre odeur suspecte, voire systé­ma­tique­ment, aérez. Pas seule­ment en appuyant sur le bouton de l’aé­ra­teur élec­trique. Ouvrez les panneaux !

Les feux provoqués par des batteries sont très difficiles à maîtriser
Les feux provoqués par des batte­ries lithium-ion, de plus en plus courants, sont très diffi­ciles à maîtri­ser © D. R.

Un nouveau risque : les batte­ries lithium-ion 

Les batte­ries lithium-ion – par ailleurs très utiles et perfor­mantes – présentent un vrai risque d’in­cen­dies et d’ex­plo­sions accom­pa­gnés d’émis­sions de gaz toxiques et parti­cu­liè­re­ment diffi­ciles à éteindre. Le trans­port mari­time des voitures élec­triques devient un problème. L’in­cen­die du roulier Feli­city Ace, entre l’Eu­rope et les États-Unis, en mars 2022, a d’au­tant plus marqué les esprits que le bateau a coulé avec sa cargai­son de quelque quatre mille voitures de luxe ! La source du feu n’est pas confir­mée offi­ciel­le­ment. En revanche, il est commu­né­ment admis que la présence à bord d’un certain nombre de véhi­cules élec­triques et de leurs batte­ries a entre­tenu le feu et empê­ché de le conte­nir. Les assu­reurs sont en alerte.

La filiale mari­time d’Al­lianz a consa­cré un rapport entier au sujet. Se féli­ci­tant que les pertes de navires aient dimi­nué de moitié en dix ans. Elle s’alarme, à l’in­verse, de voir le nombre d’in­cen­dies (toutes causes confon­dues) consi­dé­ra­ble­ment augmen­ter. En tête des causes possibles des feux très diffi­ciles à maîtri­ser, elle pointe les batte­ries lithium-ion, qui peuvent déclen­cher l’in­cen­die par embal­le­ment ther­mique, surchauffe, explo­sion, ou court-circuit.

La perte de l’IMOCA de Fabrice Amedeo sonne donc l’alerte pour les navires utili­sant ou tentés d’uti­li­ser ces batte­ries, notam­ment pour gagner en poids par rapport aux batte­ries plomb. Le comité tech­nique de la classe IMOCA va propo­ser diffé­rentes solu­tions aux coureurs, qui doivent voter au sujet de nouvelles règles de sécu­rité. Thomas Jullien, ingé­nieur à la classe IMOCA, nous explique que l’idée serait de ne pas inter­dire complè­te­ment les batte­ries lithium. La classe voudrait, en effet, pros­crire les moteurs ther­miques, et donc stocker l’élec­tri­cité produite par des moyens plus écolo­giques : panneaux solaires, hydro­liennes, etc. Première piste : exiger l’étan­chéité totale à l’eau des batte­ries elles-mêmes ou des cais­sons. Deuxième piste : impo­ser des batte­ries « moins denses éner­gé­tique­ment » mais plus stables, du type lithium fer phos­phate (LiFe­PO4). Affaire à suivre.

Nos conseils pour éviter les feux liés aux batte­ries à bord des bateaux

Beau­coup de bateaux de plai­sance ou de pêche sont équi­pés en batte­ries clas­siques. Réflé­chis­sez bien avant de chan­ger. Méfiez-vous aussi de tout ce que l’on embarque comme batte­ries lithium-ion dans les smart­phones, les tablettes, les appa­reils photo, etc. Atten­tion à l’ex­po­si­tion au soleil, aux surcharges ou charges trop rapides, et donc aux char­geurs qui ne sont peut-être pas d’ori­gine. Si l’un de ces engins prend feu, il sera diffi­cile à éteindre. N’hé­si­tez pas à le jeter à l’eau… en évitant de vous brûler.

Face au feu, des bateaux presque comme les autres

Bien qu’ar­més par des béné­voles, les navires de sauve­tage le sont comme ceux des profes­sion­nels en matière de sécu­rité. L’équi­pe­ment de la nouvelle flotte, qui entre en produc­tion, ne sera pas fonda­men­ta­le­ment diffé­rent de celui des bateaux de sauve­tage en acti­vité. Les dispo­si­tifs exis­tants sont «  d’une robus­tesse éprou­vée », indique Xavier Perret, l’in­gé­nieur d’ar­me­ment qui suit ce programme. Des extinc­teurs sont à portée de main dans tous les coins sensibles. Pas inter­chan­geables. Poudre pour le gazole, CO2 pour les circuits élec­triques, etc. Première diffé­rence avec la plai­sance : il y a des alarmes fumée et chaleur dans les cales. Deuxième diffé­rence : on peut étouf­fer le feu en fermant les aéra­tions et en remplaçant l’oxy­gène par un gaz n’ali­men­tant pas le feu, CO2 ou gaz inerte (après s’être assuré qu’il n’y a personne dans le compar­ti­ment !). Et les pompes à eau ? Très utiles, notam­ment pour refroi­dir. Et redon­dantes. Une ou deux permettent de proje­ter de l’eau ou de créer un para­pluie protec­teur en cas de sauve­tage. Lors d’un feu à bord du navire de sauve­tage, elles deviennent inuti­li­sables puisque l’on coupe les moteurs sur lesquels elles sont « atte­lées ». D’autres fonc­tionnent sur les batte­ries du bateau. Enfin, la ou les précieuses moto­pompes, auto­nomes, avec leur propre moteur ther­mique, peuvent être dépla­cées. Souvent employées pour tenter de sauver un bateau victime d’une voie d’eau, elles peuvent l’être aussi pour défendre le navire de sauve­tage contre le feu.

Atten­tion à la cuisine

Souvent munie de gaz en bouteille, la cuisine génère des flammes, c’est-à-dire un risque de feu doublé d’un risque d’ex­plo­sion dans un espace confiné. Pour peu qu’il y ait une manche à air ou un hublot ouvrant au-dessus du réchaud (pour évacuer vapeurs et odeurs), l’ali­men­ta­tion du feu en oxygène est garan­tie. Dans les bateaux récents, les bouteilles sont stockées dans un compar­ti­ment exté­rieur. Reste à surveiller les tuyaux. En prin­cipe, des sécu­ri­tés arrêtent le gaz en cas d’ex­tinc­tion des flammes et l’odeur de gaz alerte en cas de fuite.

Nos conseils pour éviter un incen­die dans la cuisine de votre bateau

La rareté des catas­trophes en cuisine tient sans doute au fait que quelqu’un était proche et a réagi immé­dia­te­ment. Ne lais­sez pas votre petit plat mijo­ter en allant brico­ler loin du brûleur. Et ayez, tout près du réchaud, une couver­ture anti-feu qui permet de l’étouf­fer rapi­de­ment (en se proté­geant les mains !).

Avant qu’il ne soit trop tard

S’il y a une idée à rete­nir, c’est que le feu et la fumée se propagent en un instant et que les bateaux sont très inflam­mables. Il faut donc se donner les moyens de réagir très, très vite en repé­rant le départ de feu. C’est la ques­tion des alarmes. Elles existent, en prin­cipe, sur les navires profes­sion­nels. En prin­cipe. Dans quasi­ment tous les grands incen­dies de navires de pêche racon­tés par le BEAmer qui se terminent par la perte totale du bateau, dont celui du Sama­theo, il y a une alarme inexis­tante, ou en panne, ou pas enten­due. Il est trop tard quand la fumée sort de la cale. Elles sont parfois agaçantes, les alarmes. Nous avions évoqué leur concert après une traver­sée sur le premier NSH1 de la nouvelle flotte des Sauve­teurs en Mer. Agaçantes, mais vitales pour les détec­teurs de fumée et de feu ! À la plai­sance les moyens d’ex­tinc­tion adap­tés et à jour – autre­ment dit les extinc­teurs – sont obli­ga­toires. Pas les détec­teurs. Les cata­logues de ship­chand­lers en proposent. Il ne faut peut-être pas les bouder et penser à véri­fier régu­liè­re­ment leurs piles. Il existe aussi des boules d’ex­tinc­tion d’in­cen­die, très effi­caces.

Feu au port, grand danger

Un feu peut se déclen­cher au port, où on est éven­tuel­le­ment moins en alerte. Et même bateau à sec. Les travaux entraînent l’uti­li­sa­tion de produits inflam­mables et de sources de chaleur (postes à souder, par exemple). Un bateau s’en­flamme très vite ; plusieurs bateaux aussi. Comme dans une forêt, le feu peut se commu­niquer en un instant aux autres bateaux à proxi­mité ! Cela a récem­ment été le cas dans le port de plai­sance du Havre.

Quand il est trop tard

S’il est impos­sible de maîtri­ser le feu, tout s’en­chaîne en un rien de temps. Le chef de bord ne doit pas tarder à prendre la diffi­cile déci­sion : message de détresse et évacua­tion. C’est là que toutes nos négli­gences deviennent graves. La VHF est-elle bien allu­mée ? Si elle est portable, est-elle char­gée ? Où se trouve-t-elle ? Le radeau de survie est-il facile à larguer ? A-t-on préparé un sac d’éva­cua­tion ? Y a-t-il un ou plusieurs couteaux dans les poches ou à la cein­ture ? On le voit dans le cas de Fabrice Amedeo – mais aussi dans d’autres –, les flammes et la fumée ont vite fait de handi­ca­per l’équi­page. Se déga­ger sur la survie, fragile et inflam­mable, n’est pas facile. Il est essen­tiel de la larguer au vent du bateau tandis que les flammes sont pous­sées à l’op­posé. Il faut aussi pouvoir couper, très vite, l’amar­rage du conte­neur sur le pont et la longe qui la retient au bateau une fois gonflée à l’eau. D’où l’uti­lité du fameux couteau dans la poche… Un dernier conseil : si vous cher­chez une bonne raison de faire accep­ter à votre équi­page quelques consignes et révi­sions de début de saison ou de début de croi­sière, parlez-lui du feu.

Les Sauveteurs en Mer ne sont pas des pompiers

Les Sauve­teurs en Mer sont souvent mobi­li­sés pour des incen­dies. Pour sauver les occu­pants, pas le bateau. S’ils doivent s’ap­pro­cher du feu, ils utili­se­ront une ou des lances à eau afin de refroi­dir et proté­ger leur propre navire. C’est tout. Au-delà, leur propre sécu­rité serait en jeu. Qui plus est, ils ne disposent pas d’équi­pe­ments spéciaux anti-feu. Néan­moins, certaines stations peuvent être davan­tage concer­nées. Dans le Midi, par exemple, les béné­voles ont plus souvent affaire à des feux déclen­chés par l’es­sence. On peut aussi leur deman­der de récu­pé­rer sur une plage des personnes mena­cées par un feu à terre. Ils peuvent alors béné­fi­cier d’une forma­tion de base à la lutte contre l’in­cen­die. « Elle permet surtout d’ap­prendre à lutter contre un feu qui se déclen­che­rait à bord de nos bateaux, précise Didier Moreau, direc­teur de la forma­tion de la SNSM. Les béné­voles y apprennent comment s’ap­pro­cher d’un bateau en feu. »

Article rédigé par Jean-Claude Hazera, diffusé dans le maga­­­­­­­zine Sauve­­­­­­­tage n°164 (2ème trimestre 2023)