Feu à bord ! Les conseils des Sauveteurs en Mer pour l'éviter
8 juin 2023
Les incendies font souvent des ravages sur les bateaux. Découvrez dans ce dossier les enseignements et les conseils des Sauveteurs en Mer afin de les éviter.
Le feu à bord ne fait pas partie des accidents les plus fréquents de la plaisance et de la pêche, contrairement aux pannes mécaniques, aux échouements ou à l’homme à la mer. La marine marchande est plus familière de ce risque. Xavier Perret, désormais ingénieur d’armement de la nouvelle flotte des Sauveteurs en Mer, évoque comme une banalité les six départs de feu qu’il a vécus en vingt ans de carrière.
Parmi les rapports rédigés par les Sauveteurs en Mer recueillis entre le 4 octobre 2022 au 4 février 2023, on compte quatorze interventions de ce type. Ce n’est pas rien, mais, dans le même temps, il y a eu 780 interventions !
Comme les incendies ne sont pas très fréquents, on a tendance à oublier combien ils sont graves. Qui se souvient que la France a perdu, le 9 juillet 1970, à 50 ans, un des hommes politiques les plus brillants de sa génération, Félix Gaillard, mort avec trois autres personnes dans l’incendie de son voilier ? Qui n’a pas oublié ce couple de plaisanciers décédés à cause des flammes dans leur bateau à quai le 19 décembre dernier à Cherbourg ? Pour se préserver de ces situations qui peuvent vite s’avérer dramatiques, le mieux est d’éviter les départs de feu. Nous vous proposons d’en étudier les causes les plus courantes.
Des incidents rares
En 2022, les centre régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage en mer (CROSS) - ont coordonné 92 opérations dont l’origine était un incendie ou une explosion, impliquant 269 personnes, dont neuf blessées et deux décédées. On comptait plutôt une soixantaine d’opérations par an voici dix ans.
L’essence reste le grand ennemi des départs de feu sur un bateau
Le problème du carburant essence des moteurs hors-bord, mais aussi de certains inboard de vedettes, est simple : il suffit d’une petite quantité qui se vaporise dans un espace clos ou peu aéré pour créer un mélange détonant à la moindre étincelle. Parmi les précieux rapports du Bureau d’enquêtes sur les événements en mer (BEAmer), on trouve celui sur l’explosion et l’incendie du Foly, le 28 août 2021, devant le poste d’avitaillement en essence du port Saint-Pierre de Hyères (Var). Un couple, leur fille de 14 ans et leur chien sont à bord. Fin de matinée, il fait chaud. Le Foly est une petite vedette de 8,30 mètres avec deux gros moteurs inboard, raisonnablement entretenue mais pas toute jeune : elle a 18 ans. Sur un bateau de cet âge, sortant peu, souvent stocké à terre sous le soleil, « les risques de détérioration des durites, tuyaux souples, joints divers du circuit d’essence sont réels », notent les experts du BEAmer. Réels et pas faciles à repérer.
Ce jour-là, il y avait une petite odeur d’essence après l’avitaillement. Sans doute liée aux autres bateaux qui attendaient la place, ont dû se dire les propriétaires. Grâce aux caméras de surveillance, le minutage de l’accident est ultraprécis. 11 h 33 et 9 secondes : le propriétaire redémarre le moteur bâbord, qui a calé. Explosion dans le compartiment moteur. 11 h 44 et 48 secondes : des flammes, impossibles à maîtriser, s’échappent du bateau. La vedette des pompiers arrivera à le remorquer à l’extérieur du port, où ce qu’il en reste coulera. Entre-temps, l’adolescente a sauté sur le quai, l’épouse, brûlée aux jambes, s’est jetée à l’eau et le propriétaire a lancé son chien dans la mer avant d’y plonger lui-même.
Les accidents dus à l’essence se répètent été après été. Le BEAmer renvoie à trois autres rapports du même type.
Nos conseils pour éviter les départs de feu liés à l’essence
Évitez l’essence, si vous le pouvez. La motorisation diesel ne présente pas le même risque.
Connaissez et surveillez votre circuit d’essence et son éventuelle proximité avec un circuit ou appareil électrique. Concernant par exemple les grands semi-rigides, la qualité de l’embarcation et sa sécurité ne dépendent pas seulement du choix de la coque et du moteur, mais aussi de la précision du montage de tous les circuits enfermés sous les planchers. Le BEAmer décrit un autre accident, qui se termine bien, en juin 2018, sur un grand semi-rigide de 10 mètres bien entretenu, emmenant des passagers dans le port de Porto, en Corse. L’explosion a été provoquée par une étincelle du propulseur d’étrave électrique dans un compartiment où passait une durite d’essence très légèrement fissurée.
Au moindre doute, à la moindre odeur suspecte, voire systématiquement, aérez. Pas seulement en appuyant sur le bouton de l’aérateur électrique. Ouvrez les panneaux !
Un nouveau risque : les batteries lithium-ion
Les batteries lithium-ion – par ailleurs très utiles et performantes – présentent un vrai risque d’incendies et d’explosions accompagnés d’émissions de gaz toxiques et particulièrement difficiles à éteindre. Le transport maritime des voitures électriques devient un problème. L’incendie du roulier Felicity Ace, entre l’Europe et les États-Unis, en mars 2022, a d’autant plus marqué les esprits que le bateau a coulé avec sa cargaison de quelque quatre mille voitures de luxe ! La source du feu n’est pas confirmée officiellement. En revanche, il est communément admis que la présence à bord d’un certain nombre de véhicules électriques et de leurs batteries a entretenu le feu et empêché de le contenir. Les assureurs sont en alerte.
La filiale maritime d’Allianz a consacré un rapport entier au sujet. Se félicitant que les pertes de navires aient diminué de moitié en dix ans. Elle s’alarme, à l’inverse, de voir le nombre d’incendies (toutes causes confondues) considérablement augmenter. En tête des causes possibles des feux très difficiles à maîtriser, elle pointe les batteries lithium-ion, qui peuvent déclencher l’incendie par emballement thermique, surchauffe, explosion, ou court-circuit.
La perte de l’IMOCA de Fabrice Amedeo sonne donc l’alerte pour les navires utilisant ou tentés d’utiliser ces batteries, notamment pour gagner en poids par rapport aux batteries plomb. Le comité technique de la classe IMOCA va proposer différentes solutions aux coureurs, qui doivent voter au sujet de nouvelles règles de sécurité. Thomas Jullien, ingénieur à la classe IMOCA, nous explique que l’idée serait de ne pas interdire complètement les batteries lithium. La classe voudrait, en effet, proscrire les moteurs thermiques, et donc stocker l’électricité produite par des moyens plus écologiques : panneaux solaires, hydroliennes, etc. Première piste : exiger l’étanchéité totale à l’eau des batteries elles-mêmes ou des caissons. Deuxième piste : imposer des batteries « moins denses énergétiquement » mais plus stables, du type lithium fer phosphate (LiFePO4). Affaire à suivre.
Nos conseils pour éviter les feux liés aux batteries à bord des bateaux
Beaucoup de bateaux de plaisance ou de pêche sont équipés en batteries classiques. Réfléchissez bien avant de changer. Méfiez-vous aussi de tout ce que l’on embarque comme batteries lithium-ion dans les smartphones, les tablettes, les appareils photo, etc. Attention à l’exposition au soleil, aux surcharges ou charges trop rapides, et donc aux chargeurs qui ne sont peut-être pas d’origine. Si l’un de ces engins prend feu, il sera difficile à éteindre. N’hésitez pas à le jeter à l’eau… en évitant de vous brûler.
Face au feu, des bateaux presque comme les autres
Bien qu’armés par des bénévoles, les navires de sauvetage le sont comme ceux des professionnels en matière de sécurité. L’équipement de la nouvelle flotte, qui entre en production, ne sera pas fondamentalement différent de celui des bateaux de sauvetage en activité. Les dispositifs existants sont « d’une robustesse éprouvée », indique Xavier Perret, l’ingénieur d’armement qui suit ce programme. Des extincteurs sont à portée de main dans tous les coins sensibles. Pas interchangeables. Poudre pour le gazole, CO2 pour les circuits électriques, etc. Première différence avec la plaisance : il y a des alarmes fumée et chaleur dans les cales. Deuxième différence : on peut étouffer le feu en fermant les aérations et en remplaçant l’oxygène par un gaz n’alimentant pas le feu, CO2 ou gaz inerte (après s’être assuré qu’il n’y a personne dans le compartiment !). Et les pompes à eau ? Très utiles, notamment pour refroidir. Et redondantes. Une ou deux permettent de projeter de l’eau ou de créer un parapluie protecteur en cas de sauvetage. Lors d’un feu à bord du navire de sauvetage, elles deviennent inutilisables puisque l’on coupe les moteurs sur lesquels elles sont « attelées ». D’autres fonctionnent sur les batteries du bateau. Enfin, la ou les précieuses motopompes, autonomes, avec leur propre moteur thermique, peuvent être déplacées. Souvent employées pour tenter de sauver un bateau victime d’une voie d’eau, elles peuvent l’être aussi pour défendre le navire de sauvetage contre le feu.
Attention à la cuisine
Souvent munie de gaz en bouteille, la cuisine génère des flammes, c’est-à-dire un risque de feu doublé d’un risque d’explosion dans un espace confiné. Pour peu qu’il y ait une manche à air ou un hublot ouvrant au-dessus du réchaud (pour évacuer vapeurs et odeurs), l’alimentation du feu en oxygène est garantie. Dans les bateaux récents, les bouteilles sont stockées dans un compartiment extérieur. Reste à surveiller les tuyaux. En principe, des sécurités arrêtent le gaz en cas d’extinction des flammes et l’odeur de gaz alerte en cas de fuite.
Nos conseils pour éviter un incendie dans la cuisine de votre bateau
La rareté des catastrophes en cuisine tient sans doute au fait que quelqu’un était proche et a réagi immédiatement. Ne laissez pas votre petit plat mijoter en allant bricoler loin du brûleur. Et ayez, tout près du réchaud, une couverture anti-feu qui permet de l’étouffer rapidement (en se protégeant les mains !).
Avant qu’il ne soit trop tard
S’il y a une idée à retenir, c’est que le feu et la fumée se propagent en un instant et que les bateaux sont très inflammables. Il faut donc se donner les moyens de réagir très, très vite en repérant le départ de feu. C’est la question des alarmes. Elles existent, en principe, sur les navires professionnels. En principe. Dans quasiment tous les grands incendies de navires de pêche racontés par le BEAmer qui se terminent par la perte totale du bateau, dont celui du Samatheo, il y a une alarme inexistante, ou en panne, ou pas entendue. Il est trop tard quand la fumée sort de la cale. Elles sont parfois agaçantes, les alarmes. Nous avions évoqué leur concert après une traversée sur le premier NSH1 de la nouvelle flotte des Sauveteurs en Mer. Agaçantes, mais vitales pour les détecteurs de fumée et de feu ! À la plaisance les moyens d’extinction adaptés et à jour – autrement dit les extincteurs – sont obligatoires. Pas les détecteurs. Les catalogues de shipchandlers en proposent. Il ne faut peut-être pas les bouder et penser à vérifier régulièrement leurs piles. Il existe aussi des boules d’extinction d’incendie, très efficaces.
Feu au port, grand danger
Un feu peut se déclencher au port, où on est éventuellement moins en alerte. Et même bateau à sec. Les travaux entraînent l’utilisation de produits inflammables et de sources de chaleur (postes à souder, par exemple). Un bateau s’enflamme très vite ; plusieurs bateaux aussi. Comme dans une forêt, le feu peut se communiquer en un instant aux autres bateaux à proximité ! Cela a récemment été le cas dans le port de plaisance du Havre.
Quand il est trop tard
S’il est impossible de maîtriser le feu, tout s’enchaîne en un rien de temps. Le chef de bord ne doit pas tarder à prendre la difficile décision : message de détresse et évacuation. C’est là que toutes nos négligences deviennent graves. La VHF est-elle bien allumée ? Si elle est portable, est-elle chargée ? Où se trouve-t-elle ? Le radeau de survie est-il facile à larguer ? A-t-on préparé un sac d’évacuation ? Y a-t-il un ou plusieurs couteaux dans les poches ou à la ceinture ? On le voit dans le cas de Fabrice Amedeo – mais aussi dans d’autres –, les flammes et la fumée ont vite fait de handicaper l’équipage. Se dégager sur la survie, fragile et inflammable, n’est pas facile. Il est essentiel de la larguer au vent du bateau tandis que les flammes sont poussées à l’opposé. Il faut aussi pouvoir couper, très vite, l’amarrage du conteneur sur le pont et la longe qui la retient au bateau une fois gonflée à l’eau. D’où l’utilité du fameux couteau dans la poche… Un dernier conseil : si vous cherchez une bonne raison de faire accepter à votre équipage quelques consignes et révisions de début de saison ou de début de croisière, parlez-lui du feu.
Les Sauveteurs en Mer ne sont pas des pompiers
Les Sauveteurs en Mer sont souvent mobilisés pour des incendies. Pour sauver les occupants, pas le bateau. S’ils doivent s’approcher du feu, ils utiliseront une ou des lances à eau afin de refroidir et protéger leur propre navire. C’est tout. Au-delà, leur propre sécurité serait en jeu. Qui plus est, ils ne disposent pas d’équipements spéciaux anti-feu. Néanmoins, certaines stations peuvent être davantage concernées. Dans le Midi, par exemple, les bénévoles ont plus souvent affaire à des feux déclenchés par l’essence. On peut aussi leur demander de récupérer sur une plage des personnes menacées par un feu à terre. Ils peuvent alors bénéficier d’une formation de base à la lutte contre l’incendie. « Elle permet surtout d’apprendre à lutter contre un feu qui se déclencherait à bord de nos bateaux, précise Didier Moreau, directeur de la formation de la SNSM. Les bénévoles y apprennent comment s’approcher d’un bateau en feu. »