VIDÉO. Philippe Croizon : « la SNSM, c’est le dépassement de soi »

Philippe Croi­zon est un modèle de volonté. Élec­tro­cuté par une ligne de 20 000 volts, il a été amputé des quatre membres en 1994. Presque trente ans plus tard, après avoir « réap­pris à vivre », il a traversé la Manche et relié les cinq conti­nents à la nage, puis bouclé le Rallye Dakar sur le siège du pilote. Il sera, avec le cycliste Thomas Voeck­ler, parrain du « SNS17–01 Gustave Gendron – Simone Anita », le premier navire de sauve­tage hautu­rier (NSH) de la nouvelle flotte de la SNSM, armé par les béné­voles de la station de L’Her­bau­dière, sur l’île de Noir­mou­tier (Vendée). Un « symbole du dépas­se­ment de soi », dont les valeurs résonnent avec celles des Sauve­teurs en Mer.

Philippe Croizon
Philippe Croizon a découvert les Sauveteurs en Mer enfant, lorsqu’il passait ses vacances sur l’île de Noirmoutier © Maxime Franusiak

Pourquoi avoir accepté d’être parrain du NSH1 ?

Philippe Croi­zon : Quand on me l’a proposé, j’ai d’abord été très surpris. Une bouf­fée de chaleur m’a envahi et je me suis demandé : « Pourquoi moi ? » Puis ce senti­ment a laissé place à la fierté et j’ai dit oui en une frac­tion de seconde. C’est un véri­table honneur. Je regrette beau­coup de ne pas pouvoir être présent le jour de l’inau­gu­ra­tion [Ndlr : un témoi­gnage vidéo sera diffusé sur place à cette occa­sion]. Je souhaite que les femmes et les hommes soient fiers de leur nouveau bateau et de ses parrains, avec des valeurs communes. La SNSM, c’est le dépas­se­ment de soi, le travail d’équipe et l’aven­ture. Des valeurs qui ne m’ont pas quitté depuis l’ac­ci­dent. Le maître mot de ma vie aujour­d’hui, c’est « partage ». Pour moi, c’est central chez les Sauve­teurs en Mer : ils vivent des moments de partage intenses. Et je pense qu’il n’y a rien de plus riche que cela.

Comment avez-vous connu la SNSM ?

P.C. : Vous avez vu le film Camping ? Mes parents, c’est la même chose : cela fait cinquante-quatre ans qu’ils sont au même empla­ce­ment à la pointe de L’Her­bau­dière. Enfant, j’ai passé toutes mes vacances là-bas et j’y vais encore très souvent. Je me souviens très bien que, lors de la Fête de la mer, j’étais très admi­ra­tif de ces hommes et femmes en orange qui avaient l’air si fiers. J’avais les yeux écarquillés à l’époque et je les ai toujours en tant qu’adulte devant ce qu’ils accom­plissent. Depuis, j’ai souvent été aidé par la SNSM lors de mes entraî­ne­ments en mer. Je me souviens notam­ment d’un aller-retour entre Noir­mou­tier et Pornic où j’ai nagé pendant douze heures, et les béné­voles m’ont accom­pa­gné tout du long.

Vous êtes-vous déjà fait peur en mer ?

P.C. : Oui, ça m’est arrivé. Notam­ment lors de la traver­sée de la Manche, lorsque je suis arrivé au cap Gris-Nez [Ndlr : dans le Pas-de-Calais, à envi­ron 15 kilo­mètres au nord de Boulogne-sur-Mer]. Nuit noire, sans lune. J’ai 20 kilo­mètres de plage à longer entre les caps Blanc-Nez et Gris-Nez. La marée me pousse en plein sur des rochers. Je suis dans des creux de 50 centi­mètres à 1 mètre. Mais je veux atteindre mon objec­tif. Deux nageurs se mettent à mes côtés pour assu­rer ma sécu­rité. Ils veulent que je sorte de l’eau car c’est dange­reux. Je leur dis : « Vous ne m’ar­rê­te­rez jamais ! » J’ai nagé 38 kilo­mètres, ils veulent m’ar­rê­ter à 800 mètres de l’ar­ri­vée. Impos­sible, même si je dois mourir. Je savais que si je réali­sais cet objec­tif, j’al­lais chan­ger ma vie.

Un dispo­si­tif de sécu­rité était donc en place pendant vos traver­sées ?

P.C. : Oui, bien sûr, on fait très atten­tion. Il y a énor­mé­ment de dangers en mer, et parti­cu­liè­re­ment dans la Manche : on peut tomber sur une plaque de fioul, une palette, un conte­neur qui traîne. Il faut aussi pouvoir gérer le trafic mari­time. On a donc besoin d’une sécu­rité de surface très impor­tante. Quand je suis dans l’eau, j’es­saye de ne penser à rien, de me concen­trer sur ma nage. J’ai fait de la sophro­lo­gie pour me prépa­rer menta­le­ment à ne pas craquer le jour J. Ce jour-là, il ne peut rien m’ar­ri­ver, je deviens un guer­rier. C’est pour cela qu’il est primor­dial d’avoir des gens derrière soi, ainsi qu’un dispo­si­tif médi­cal.

Le groupe est-il impor­tant dans vos exploits ?

P.C. : En France, deman­der un coup de main est vécu comme un moment d’échec. Cela veut dire que l’on n’a pas réussi. C’est cultu­rel. Alors que ça devrait être natu­rel de deman­der de l’aide. Ce que j’aime dans mes aven­tures, c’est qu’à la fin, tous ceux qui ont parti­cipé se mettent à pleu­rer en disant : « Ça y est, on l’a fait. » Alors que tout le monde me disait que c’était impos­sible. Oser deman­der de l’aide, c’est ce qui m’a permis de réus­sir. Dans les moments extrêmes, le « je » n’existe pas. C’est « on » a réussi. Les gens retiennent l’ex­ploit de la traver­sée de la Manche. Mais le plus beau, ce n’est pas la traver­sée, ce sont les deux années de travail, la créa­tion de l’équipe, la trans­for­ma­tion du corps, les ingé­nieurs qui ont travaillé sur les prothèses. Cette cohé­sion qui s’est mise en place.

Oser deman­der de l’aide, c’est ce qui m’a permis de réus­sir.

Vous y voyez un lien avec l’ac­tion des béné­voles de la SNSM ?

P.C. : Les Sauve­teurs en Mer ne partent pas quand la mer est calme. Ils sortent souvent quand elle est démon­tée. Et quand on part dans des situa­tions risquées, il faut toujours comp­ter sur le groupe. C’est ça qui permet de surmon­ter les diffi­cul­tés. Mais ça n’en­lève pas les risques. On l’a vu malheu­reu­se­ment il n’y a pas si long­temps, après le drame des Sables d’Olonne [NDLR : trois sauve­teurs ont perdu la vie en 2019 lors d’un sauve­tage]. J’ai été extrê­me­ment ému par cet événe­ment. À ce moment-là, j’avais oublié que les membres de la SNSM étaient des béné­voles. Je pensais qu’ils étaient profes­sion­nels, qu’ils étaient payés. Ce qu’ils réalisent au péril de leur vie sans rien deman­der en retour est incroyable.

Philippe Croizon a nagé plus de 4 000 kilomètres pour s’entraîner
Philippe Croi­zon a nagé plus de 4 000 kilo­mètres pour s’en­traî­ner avant de traver­ser la Manche à la nage © Xavier Leoty

Quels ensei­gne­ments tirez-vous de vos exploits ?

P.C. : Mon leit­mo­tiv aujour­d’hui, c’est de dire que tout est possible. Que l’im­pos­sible, c’est nous, c’est dans notre tête. Main­te­nant, lorsque j’ai une idée, je me demande d’abord comment la réali­ser. Et puis, seule­ment après, j’ai peur, mais c’est trop tard. Beau­coup de gens ont des rêves, des objec­tifs. Mais ils font passer la peur avant. Aujour­d’hui, je n’ai pas de limites. Je n’ai plus envie de m’en fixer. J’en avais avant mon acci­dent, plus main­te­nant. Et c’est sans doute pour ça que j’ai atteint mes objec­tifs. Par exemple, quand je commence à m’en­traî­ner pour traver­ser la Manche, j’ai 40 ans, je suis gras comme un loukoum et je ne sais pas nager. Mais j’ai fait 4 000 kilo­mètres d’en­traî­ne­ment pour fina­le­ment nager 38 kilo­mètres le jour J. La réus­site ne s’at­teint que par le travail.

Article rédigé par la rédac­tion, diffusé dans le maga­zine Sauve­tage n°161 (3ème trimestre 2022)