Père Perrot, sauveteur corps et âme

Les béné­voles de la SNSM, embarqués ou à terre, viennent d’ho­ri­zons profes­sion­nels très variés. Mais Emma­nuel Perrot est un cas unique parmi les quelque 8 800 membres de l’as­so­cia­tion. Cano­tier de la station de Port-en-Bessin depuis 2016, il est aussi le prêtre de la paroisse locale.

Père Perrot à bord du bateau de sauvetage de Port-en-Bessin
Le père Emmanuel Perrot sur la "SNS 267 Madone-des-Feux-GEMA" © SNSM

Ce dimanche matin de novembre, le jour se lève diffi­ci­le­ment dans le bassin de Port-en-Bessin, à l’ex­té­rieur des môles d’en­trée. Sur la côte normande, le temps est aux rafales fraîches et la mer est grise. La station SNSM a reçu un appel du centre régio­nal opéra­tion­nel de surveillance et de sauve­tage (CROSS) Jobourg, deman­dant assis­tance pour un chalu­tier dont l’hé­lice est enga­gée dans un filet. Dix minutes plus tard, les cano­tiers embarquent à bord de la vedette de deuxième classe SNS 267 Madone-des-Feux-GEMA. Tandis que l’équi­page termine de cape­ler les équi­pe­ments, le canot sort du chenal. Les cloches sonnent au sommet de l’église Saint-André. « Tu n’as pas contacté Emma­nuel ? », demande un équi­pier au patron. « Ben non, c’est dimanche, il dit la messe !  »

Emma­nuel ? C’est Emma­nuel Perrot, cano­tier depuis 2016 sur la vedette de la SNSM, après avoir suivi une forma­tion d’équi­pier de pont et obtenu une certi­fi­ca­tion radio. Il est aussi le père Perrot, le curé de la paroisse de Port-en-Bessin, unique prêtre en France à alter­ner la tenue ecclé­sias­tique et celle des Sauve­teurs en Mer. 

Pourquoi celui qui sauve déjà les âmes a-t-il décidé de sauver les corps ? « Quand un sauve­teur m’a demandé de rejoindre l’équipe, je me suis dit que c’était une bonne manière de m’in­té­grer à la commu­nauté de pêcheurs, se remé­more l’abbé. Même si je n’ai pas parti­cu­liè­re­ment le pied marin, ma « carrière mari­time » a débuté durant mon service mili­taire à Brest, à bord de la frégate Duguay-Trouin. » 

Bien sûr, il a régu­liè­re­ment des obli­ga­tions qui l’em­pêchent d’être dispo­nible.

Compte tenu des impératifs de mon ministère – offices, mariages, obsèques… –, je ne peux être le plus assidu à embarquer. En revanche, je participe beaucoup aux exercices du samedi ! 

Des équi­piers l’ap­pellent « Monsieur le curé »

Dès qu’il le peut, l’ec­clé­sias­tique de 52 ans essaye de prendre part à la vie locale. « Il m’ar­rive aussi d’ai­der au débarque­ment du pois­son, de nuit, à la criée, indique le prêtre. C’est en triant les pois­sons dans le froid que l’on prend conscience de la diffi­culté du métier. » Ses yeux brillent derrière ses lunettes : « Avant de m’en­ga­ger dans la forma­tion de cano­tier, je n’ai même pas demandé l’au­to­ri­sa­tion à mon patron ! » « Votre patron… là-haut ? », inter­roge un parois­sien, l’in­dex levé vers le ciel. « Je parlais de Monsei­gneur l’évêque, bien sûr  », s’amuse Emma­nuel Perrot. 

Depuis son arri­vée, Marc Salent, le patron titu­laire de la station, appré­cie ce mate­lot effi­cace et enthou­siaste. « Autre­fois, les Sauve­teurs en Mer étaient tous des marins pêcheurs retrai­tés. Aujour­d’hui, seule­ment un tiers de la ving­taine de béné­voles est issu de la pêche. Et dans notre région de Norman­die où la tradi­tion chré­tienne est bien ancrée, un prêtre ne pose pas de problèmes rela­tion­nels. À tel point qu’à bord, certains de nos équi­piers l’ap­pellent toujours « Monsieur le curé ». » 

De plus, l’homme d’église a un rôle tout trouvé au sein de la station. « Depuis plusieurs années, nous sommes solli­ci­tés pour effec­tuer la disper­sion des cendres en mer, pour­suit Marc Salent. Avec notre curé mate­lot, nous pouvons propo­ser un accom­pa­gne­ment reli­gieux. » 

Article rédigé par Philippe Payen, diffusé dans le maga­­­­­­zine Sauve­­­­­­tage n°163 (1er trimestre 2023).