Interview d'Éric Banel, directeur de la nouvelle DGAMPA

Éric Banel vient d’être nommé à la tête d’une nouvelle direc­tion géné­rale, regrou­pant la direc­tion des affaires mari­times (DAM) et la direc­tion des pêches mari­times et de l’aqua­cul­ture (DPMA), ainsi que les person­nels des capi­tai­ne­ries des ports d’État. Il précise les grandes orien­ta­tions qu’il souhaite lui donner.

Éric Banel est le premier directeur général des affaires maritimes, de la pêche et de l'aquaculture © DIRM Sud-Atlantique

Quels sont les atten­dus de la nouvelle orga­ni­sa­tion dont vous avez pris la direc­tion ?

Éric Banel : Cette nouvelle direc­tion géné­rale, forte de trois cents agents, intro­duit un chan­ge­ment majeur dans l’or­ga­ni­sa­tion admi­nis­tra­tive de l’État. C’est la première direc­tion d’ad­mi­nis­tra­tion centrale exclu­si­ve­ment dédiée au mari­time, dans toutes ses compo­santes écono­miques, sociales et envi­ron­ne­men­tales. Ses premières missions seront de propo­ser une refonte de la stra­té­gie natio­nale mer et litto­ral, et d’or­ga­ni­ser le déve­lop­pe­ment durable des acti­vi­tés mari­times et litto­rales. Parce qu’elle intègre toutes les acti­vi­tés en mer – du trans­port mari­time à la pêche, en passant par le nautisme –, elle offre une réponse au trop grand écla­te­ment des admi­nis­tra­tions de l’État, et permet de propo­ser des réponses coor­don­nées sur de nombreux sujets, qui sont le plus souvent très imbriqués. Elle sera égale­ment en charge de l’ani­ma­tion des deux mille sept cents agents de l’ad­mi­nis­tra­tion mari­time, répar­tis sur le litto­ral et en Outre-mer, que ce soit au sein des direc­tions inter­ré­gio­nales de la mer (DIRM) ou des direc­tions dépar­te­men­tales des terri­toires et de la mer (DDTM).

Plus que la simple asso­cia­tion de deux direc­tions préexis­tantes, cette direc­tion géné­rale traduit égale­ment l’am­bi­tion de se centrer plus encore sur les fonc­tions de pilo­tage stra­té­gique en déve­lop­pant une vision à long terme sur des sujets aussi essen­tiels que l’in­no­va­tion, la tran­si­tion écolo­gique et éner­gé­tique de l’en­semble des flottes, la sécu­rité des acti­vi­tés humaines en mer ou encore la connais­sance du milieu marin.

Et plus préci­sé­ment, concer­nant nos lecteurs, souvent plai­san­ciers ou pratiquants de loisirs nautiques régu­liers ou occa­sion­nels, mais aussi amou­reux du litto­ral, que leur appor­tera cette nouvelle syner­gie ?

E.B. : Notre objec­tif est de créer une admi­nis­tra­tion plus effi­cace, plus proche du terrain, qui travaille en mode projet et soit faci­li­ta­trice pour son écosys­tème. Nous devrons notam­ment rele­ver le double défi de la simpli­fi­ca­tion et de la trans­for­ma­tion numé­riques. Parce que nos admi­nis­tra­tions sont désor­mais unifiées, nous serons en meilleure capa­cité pour le faire, en cher­chant à être plus proches des besoins de nos usagers. La mise en place de portails numé­riques pour la réali­sa­tion des forma­li­tés, la procé­dure unique pour la fran­ci­sa­tion et l’im­ma­tri­cu­la­tion des navires sous l’égide exclu­sive, désor­mais, de l’ad­mi­nis­tra­tion des Affaires mari­times sont des illus­tra­tions concrètes de l’am­bi­tion que nous portons. L’ex­ter­na­li­sa­tion des épreuves théo­riques du permis plai­sance, à l’ins­tar de ce qui se pratique pour les permis routiers, est un autre exemple de simpli­fi­ca­tion et de repo­si­tion­ne­ment du rôle de l’ad­mi­nis­tra­tion.

Vous avez, au sein de la DGAMPA, la respon­sa­bi­lité du sauve­tage en mer, dont la SNSM est un des acteurs essen­tiels. Comment voyez-vous les défis auxquels nos sauve­teurs sont confron­tés : diver­si­fi­ca­tion des pratiques et loisirs nautiques, fréquen­ta­tion récréa­tive du litto­ral par des pratiquants de niveaux d’ex­pé­rience très divers, dont il faut assu­rer la sécu­rité, mais aussi pres­sion migra­toire en Manche ou à Mayotte ?

E.B. : Mes services sont présents sur tous ces fronts, aux côtés des Sauve­teurs en Mer. Les centres régio­naux opéra­tion­nels de surveillance et de sauve­tage en mer (CROSS), qui dépendent égale­ment de ma direc­tion géné­rale au niveau central, sont ici en première ligne, sur le litto­ral comme en Outre-mer. Nous avons constaté, en 2020 comme en 2021, une augmen­ta­tion très signi­fi­ca­tive du nombre d’opé­ra­tions cordon­nées par les CROSS. Les défis sont multiples. En premier lieu, il y a une « ruée » vers le litto­ral et une grande soif de pratique de loisirs de plein air.

L’ac­cès plus facile aux acti­vi­tés nautiques, à travers de nouveaux modes de loca­tion ou de partage, la diver­si­fi­ca­tion des pratiques et des engins, pour tous les âges et tous les niveaux d’ex­pé­rience, consti­tuent autant de défis pour la sécu­rité en mer. Paral­lè­le­ment, nous sommes de plus en plus confron­tés au drame des migrants, notam­ment en Manche et en mer du Nord. En matière opéra­tion­nelle, ce nouveau domaine de sauve­tage, très diffé­rent de celui que nous connais­sions jusqu’alors, nous confronte à des crises durables, qui ques­tionnent et éprouvent énor­mé­ment nos orga­ni­sa­tions. J’ai conscience des limites de nos dispo­si­tifs actuels : les CROSS ne sont pas conçus pour être dans des crises perma­nentes. Quand l’ex­cep­tion­nel devient le quoti­dien, il faut repen­ser nos dispo­si­tifs. Pour cette raison, nous avons lancé une réflexion sur ce que sera le CROSS du futur, que nous parta­ge­rons prochai­ne­ment avec tous nos parte­naires, notam­ment les Sauve­teurs en Mer.

En plus de sa mission de sauve­tage en mer et sur les plages, la SNSM déploie de plus en plus d’ac­tions de préven­tion – parte­na­riat avec l’Édu­ca­tion natio­nale pour toucher les publics scolaires, podcasts, tour­née de préven­tion sur le litto­ral, jour­nées de sensi­bi­li­sa­tion – et, cette année, le sujet sera au cœur de nos Jour­nées natio­nales, les 25 et 26 juin prochain. Quelles sont, selon vous, les prio­ri­tés en matière de préven­tion ?

E.B. : L’en­ga­ge­ment parti­cu­liè­re­ment effi­cace de la SNSM en matière de préven­tion est pour moi très emblé­ma­tique de la muta­tion réali­sée par l’as­so­cia­tion depuis plusieurs années, avec le soutien de l’État. En tant que respon­sable du sauve­tage en mer, je sais qu’une bonne préven­tion passe d’abord par une analyse des risques, fondée sur la connais­sance des carac­té­ris­tiques des acci­dents rela­tifs à la plai­sance et aux loisirs nautiques. À cet égard, nos deux struc­tures – la DGAMPA et la SNSM – sont parte­naires dans le Système Natio­nal d’Ob­ser­va­tion de la Sécu­rité des Acti­vi­tés Nautiques (SNOSAN), en asso­cia­tion avec le minis­tère de l’In­té­rieur et le minis­tère chargé de la Jeunesse et des Sports.

Nous parta­geons les mêmes défis, en parti­cu­lier celui de toucher un public certes plus nombreux, mais aussi plus diver­si­fié, qui conjugue aver­sion pour le risque et indi­vi­dua­lisme, et s’ins­crit souvent dans une logique de consom­ma­tion de la mer et des acti­vi­tés nautiques. Nos unités litto­rales des Affaires mari­times et nos direc­tions dépar­te­men­tales en sont égale­ment les témoins. À cet égard, les nouvelles moda­li­tés de commu­ni­ca­tion de la SNSM, qui permettent de s’adres­ser à ce public, sont très perti­nentes. Aux prio­ri­tés bien iden­ti­fiées que sont la bonne appré­hen­sion des condi­tions de navi­ga­tion – vent et état de la mer –, la flot­ta­bi­lité indi­vi­duelle ou la capa­cité à commu­niquer avec les CROSS, s’ajoute l’ap­pren­tis­sage d’un compor­te­ment civique indis­pen­sable, qui doit rester la marque des gens de mer : la soli­da­rité, le respect et l’at­ten­tion portée à l’autre. 

« Quand l’ex­cep­tion­nel devient le quoti­dien, il faut repen­ser nos dispo­si­tifs. Nous avons lancé une réflexion sur ce que sera le CROSS du futur. »

Nos statuts ont récem­ment été approu­vés par le Conseil d’État et notre prochaine assem­blée géné­rale, en juin 2022, se tien­dra confor­mé­ment à ces textes, avec une parti­ci­pa­tion accrue de nos béné­voles. Quel regard portez-vous sur cette nouvelle orga­ni­sa­tion ?

E.B. : Ayant été en poste sur le litto­ral, je suis très atta­ché au modèle français du sauve­tage en mer, dont les deux piliers sont le béné­vo­lat, à travers la SNSM, et le rôle de l’État, à travers les CROSS. Nos destins sont liés, l’ef­fi­ca­cité du dispo­si­tif repo­sant sur la confiance et la recon­nais­sance du rôle de chacun. C’est pourquoi je tiens à saluer cette réforme des statuts, long­temps atten­due, qui marque un tour­nant majeur dans la gouver­nance de votre asso­cia­tion. Confor­mé­ment aux recom­man­da­tions des pouvoirs publics, elle permet un meilleur exer­cice de la démo­cra­tie interne et une plus grande recon­nais­sance du rôle des béné­voles au sein de l’as­so­cia­tion. Certes, la SNSM présente un capi­tal maté­riel unique pour une asso­cia­tion, mais la plus belle flotte de navires de sauve­tage ne vaut que par les personnes qui les arment et les soutiennent, à bord comme à terre.

Mieux formés, nos Sauve­teurs en Mer seront égale­ment plus en capa­cité de choi­sir et de déci­der. Par exemple, ils seront plus auto­nomes vis-à-vis des admi­nis­tra­tions de l’État : à titre d’exemple, les Affaires mari­times, la Marine natio­nale, la Sécu­rité civile ou le minis­tère en charge de la Jeunesse et des Sports ne seront plus membres à part entière du conseil d’ad­mi­nis­tra­tion de l’as­so­cia­tion, mais simple­ment invi­tés. À chacun sa place. L’État conti­nuera d’être à vos côtés, de vous soute­nir, de vous finan­cer, mais la SNSM pourra prendre seule les déci­sions qui engagent sa stra­té­gie et son fonc­tion­ne­ment. C’est une avan­cée signi­fi­ca­tive. 

Le renou­vel­le­ment de notre flotte – cent quarante unités sur dix ans pour un budget d’en­vi­ron 100 millions d’eu­ros – est un chan­tier majeur de l’as­so­cia­tion. Nous sommes en phase d’es­sais sur plusieurs de nos têtes de série et en attente de leur homo­lo­ga­tion pour lancer la phase de produc­tion. Notre flotte a été conçue de manière à limi­ter son inci­dence envi­ron­ne­men­tale, sujet qui est au cœur votre feuille de route. Quels sont les enjeux à cinq ou dix ans sur ce point ?

E.B. : La France, en tant que grande nation mari­time, s’ins­crit dans un agenda de long terme fixé au sein de l’Or­ga­ni­sa­tion mari­time inter­na­tio­nale et qui vise à une divi­sion par deux des émis­sions de CO2 d’ici 2050, avec un jalon inter­mé­diaire dès 2030 très ambi­tieux de moins 40 %. Cet agenda concerne d’abord les grands navires de trans­port, mais l’am­bi­tion que porte ma direc­tion géné­rale est bien le verdis­se­ment de tous les navires et de toutes les acti­vi­tés mari­times.

Dans le cadre de la loi Climat et Rési­lience de 2021, le Gouver­ne­ment doit défi­nir, d’ici le 1er janvier prochain, sa stra­té­gie natio­nale de décar­bo­na­tion. S’agis­sant des petits navires, cette stra­té­gie encou­ra­gera l’usage au moins partiel de biocar­bu­rants – propul­sion prin­ci­pale –, mais aussi des mesures d’op­ti­mi­sa­tion éner­gé­tique – auxi­liaires du moteur prin­ci­pal et appa­raux à bord. La rédac­tion de cette stra­té­gie est en cours, mais il convient d’ores et déjà de l’in­té­grer dans vos choix d’in­ves­tis­se­ments. À titre d’exemple, l’ar­me­ment des phares et balises passera commande, en ce deuxième trimestre, d’un navire bali­seur océa­nique qui sera équipé, outre sa propul­sion au gasoil ou au biocar­bu­rant, d’une pile à combus­tible hydro­gène, afin de permettre une navi­ga­tion à zéro émis­sion à l’ap­proche des ports ou dans les sites écolo­gique­ment sensibles.

La forma­tion de nos béné­voles, de moins en moins issus des profes­sions mari­times, est au cœur de notre projet stra­té­gique. Nos cursus de forma­tion internes ont été récem­ment homo­lo­gués et sont en cours d’ins­crip­tion au Réper­toire natio­nal des certi­fi­ca­tions profes­sion­nelles (RNCP). Alors que la semaine de l’em­ploi mari­time s’est tenue récem­ment, comment voyez-vous la SNSM contri­buer à faire de l’en­ga­ge­ment béné­vole un facteur d’em­ploya­bi­lité ?

E.B. : L’ho­mo­lo­ga­tion des forma­tions internes de la SNSM permet­tra de faire de l’en­ga­ge­ment béné­vole un atout, car il sera désor­mais reconnu et valo­ri­sable. C’est le résul­tat d’un travail impor­tant que nous avons conduit ensemble, avec d’autres orga­nismes comme l’Ins­ti­tut français de recherche pour l’ex­ploi­ta­tion de la mer – Ifre­mer –, l’Of­fice français de la biodi­ver­sité, la Sécu­rité civile ou les forces de police. Trois forma­tions ont ainsi été défi­nies, qui contri­buent à accom­pa­gner la prise de fonc­tion à bord des moyens nautiques de la SNSM. L’ins­crip­tion de ces forma­tions au RNCP traduit notre volonté de faire des forma­tions de la SNSM un socle commun à diffé­rents services et métiers inter­ve­nant en mer, faci­li­tant ainsi les mobi­li­tés entre les diffé­rents orga­nismes, et en parti­cu­lier l’exer­cice du béné­vo­lat. Vers le secteur privé, ces forma­tions adap­tées renfor­ce­ront les dossiers indi­vi­duels de vali­da­tion des acquis de l’ex­pé­rience.

C’est une étape impor­tante. Plus géné­ra­le­ment, cette homo­lo­ga­tion a pour objec­tif premier d’of­frir un réfé­ren­tiel de compé­tences adap­tées aux exigences du sauve­tage en mer. Elle conforte l’en­ga­ge­ment béné­vole, au même titre que diffé­rentes mesures de protec­tion mises en place par l’État – accès à la qualité de pupilles de la Nation pour les enfants ayants droit. Il faut égale­ment y voir la recon­nais­sance de l’ex­cel­lente qualité du travail de la direc­tion de la forma­tion de la SNSM, qui joue un rôle stra­té­gique dans le contexte de « tran­si­tion démo­gra­phique » que vous rappe­lez – part crois­sante de béné­voles issus de la plai­sance –, à l’heure où se renforcent les exigences du sauve­tage et l’at­tente du public.

Si nos ressources proviennent prin­ci­pa­le­ment de la géné­ro­sité des dona­teurs parti­cu­liers et des entre­prises mécènes, la parti­ci­pa­tion de l’État et des collec­ti­vi­tés terri­to­riales est tout aussi essen­tielle. Nous comp­tons, en parti­cu­lier, sur la péren­nité des contri­bu­tions de l’État, avec sa subven­tion annuelle de 10,5 M€, les 4 M€ issus du droit annuel de fran­ci­sa­tion des navires et 5 % de la future taxe sur les éoliennes en mer qui seront attri­bués à la SNSM. Les sauve­teurs béné­voles ayant besoin d’être rassu­rés et de savoir pouvoir comp­ter sur l’État pour leur forma­tion et le renou­vel­le­ment de leur flotte de sauve­tage, la stabi­lité de ces contri­bu­tions vous semble-t-elle acquise ? 

E.B. : Je rappelle que les chiffres que vous indiquez, et que je suis heureux de confir­mer, traduisent, même avant l’ef­fet posi­tif de la future taxe sur les éoliennes en mer, la multi­pli­ca­tion par six en huit ans, du soutien finan­cier de l’État ! C’est tota­le­ment inédit, voire contra­cy­clique, au regard des restric­tions budgé­taires actuelles, et cela démontre l’im­por­tance que les gouver­ne­ments succes­sifs attachent à la capa­cité d’in­ves­tis­se­ment – notam­ment pour le renou­vel­le­ment de la flotte – et de fonc­tion­ne­ment de l’as­so­cia­tion ; je pense, en parti­cu­lier, à la forma­tion des équi­pages et au soutien tech­nique des navires. À l’an­cienne inquié­tude « L’État ne donne pas assez » succède une nouvelle : « L’État ne tien­dra pas la distance ». Voyons-y un bon signe !

Plus sérieu­se­ment, nous faisons la démons­tra­tion que nous sommes et reste­rons à la hauteur des besoins qu’ex­pri­mera et préci­sera la SNSM à l’ave­nir. La DGAMPA et la SNSM sont désor­mais enga­gées mutuel­le­ment par des conven­tions trien­nales – l’ac­tuelle court de 2021 à 2023 inclus –, qui permettent de s’ins­crire dans le moyen terme et de se donner de la visi­bi­lité, la première pour sa program­ma­tion budgé­taire, la seconde pour la présen­ta­tion de ses enjeux et pers­pec­tives. Ce dialogue suivi offre une défi­ni­tion adap­tée du niveau de soutien finan­cier de l’État.

Inter­view recueillie par la rédac­tion du maga­zine Sauve­tage dans le maga­zine Sauve­tage n°160 (2ème trimestre 2022)