Lundi 12 février 1940, 4 h 50, le sémaphore de Jardeheu fait prévenir Charles Renouf, patron du canot de sauvetage de la station d’Omonville-la-Rogue, qu’un navire a fait naufrage sur les récifs de la pointe du Hoquet, à environ 600 mètres à l’est du sémaphore. Il s’agit de l’ex-Rorqual, un chalutier à vapeur de cinq cent vingt tonneaux et 54 mètres de long, rebaptisé Vierge de Boulogne en 1930 par l’armement Delpierre, de Boulogne-sur-Mer.
Construit en 1908, le vieux bâtiment s’est échoué par visibilité quasi nulle sur les récifs, qui ont percé sa coque. L’alarme est aussitôt donnée. À 5 h 20, le canot De la Germonière, monté sur son chariot (le port ne possédant pas de cale d’accès à la mer), est lancé rapidement, malgré la basse mer et la nécessité de descendre sur les galets du rivage. Les sauveteurs*** progressent dans une brume très dense, le vent soufflant de l’est, mais l’éclairage du lieu du naufrage par le projecteur du sémaphore améliore les conditions. En trente minutes, ils atteignent le bateau, qui est déjà fortement enfoncé, en raison d’une voie d’eau. Ses vingt hommes d’équipage se tiennent sur l’arrière, près des embarcations déjà poussées et prêtes à être amenées.
Le patron Renouf se voit dans l’impossibilité d’accueillir tout l’équipage de la Vierge de Boulogne sur son canot de sauvetage. Il décide donc d’envoyer son frère, le canotier Henri Renouf, pour remorquer une embarcation de sauvetage du chalutier, avec le reste de l’équipage. L’embarquement s’effectue rapidement grâce au bon ordre et au calme des naufragés, et le convoi, aidé par le courant de flot, rentre au port d’Omonville, qu’il rejoint sans incident à 6 h 45.
Quatre remorqueurs du port de Cherbourg arrivent alors sur zone en se tenant éloignés de la côte – étant donné l’état de la mer –, puis repartent, après avoir constaté l’impossibilité de sauver le chalutier dans les rochers. Une fois réconforté par le personnel de la station, l’équipage de la Vierge de Boulogne est transporté vers Cherbourg dans un autocar envoyé par l’autorité militaire.
* Troisième et dernière unité de la station d’Omonville-la-Rogue, l’AND 104 De la Germonière est un canot en bois non redressable de 9,80 m à
dix avirons, non motorisé, construit en 1910 par les chantiers Augustin Normand du Havre. Il a d’abord servi sous le nom de Lucien Mari au Pouliguen, puis à Goury sous le nom de La Germonière, celui d’un généreuse donatrice. Le canot est détruit par les Allemands durant la Seconde Guerre mondiale.
** Décidée dès 1865, la station d’Omonville-la-Rogue (Manche) est créée en 1867 par la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés – ancêtre de la SNSM –, deux ans avant celle de Goury, distante de 7,4 kilomètres à vol d’oiseau. La station est officiellement supprimée en 1940, mais elle continue de fonctionner jusqu’en 1949 avec des bateaux de pêche locaux.
*** Les canotiers engagés sur le canot le 12 février 1940 lors de sa dernière sortie de sauvetage : Charles Victor Renouf, patron ; Henri Renouf, Auguste Dubois, Gustave Lagalle, Paul-Eugène Lagalle, Charles Néel, Alexandre Tainlot, plus six volontaires équipiers.
Article rédigé par Patrice Brault paru dans le magazine Sauvetage n°155 (1er trimestre 2021).